D’origine samoane, révélé par le rugby à 7, le jeune demi d’ouverture et arrière de l’équipe néo-zélandaise Latrell Ah-Kiong débarque au Mondial amateur avec un bagage technique et une maturité hors-normes.
Samedi 23 septembre 2023. Si l’on considère, pour un passionné de rugby, que la Nouvelle-Zélande est le pays enchanté des rêves, une sorte de Neverland, cette contrée imaginaire et imaginé où tout est parfait, alors on a trouvé Peter Pan le premier week-end du Mondial amateur à Port-de-Bouc. Ce qui est pour le moins inattendu. Il s’appelle Latrell. Latrell Ah-Kiong. Il a juste remplacé le chapeau tyrolien du héros de notre enfance et enfilé un casque blanc. Il a l’œil ébène, d’un noir profond, et une coupe de cheveux mulet, grande mode chez les kiwis mais plus soignée. Il est moins fluet aussi. 1 mètre 88 sous la toise, 90 kilos sur la balance. Mais il est, comme lui, insaisissable. Rapide, inspiré, instinctif et malin. Il pourrait même endosser, en prime, le rôle du capitaine crochet, avec son style de jeu élégamment chaloupé dans les défenses, une propension à sentir les coups, à s’ouvrir et naviguer dans les espaces et une extase évidente à faire jouer les autres. Il a été dans la plupart des coups qui ont permis à son équipe d’accumuler 92 points en trois matchs de poule et n’en concéder que 22.
Dans la musette de Latrell, il y a tout. Une gueule, un style, un amour du jeu et tout le bagage technique validé par le rugby moderne. « Mon héritage aussi, c’est le plus important » comme il dit lui-même. Latrell a grandi dans sa culture samoane. « D‘aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours eu un ballon dans les mains. Comme tous les enfants de ma famille et de mon village ». Dans sa famille, il y a notamment son cousin, l’ailier Nehe Milner-Skudder, cinq saisons à Manawatu, quatre aux Hurricanes, attendu au RCT Toulon en 2019 mais le transfert a été avorté en raison du Covid. Il est surtout champion du monde avec les All Blacks et révélation officielle de l’année 2015 avec six essais dont un en finale contre l’Australie à Twickenham (34 à 17). D’autres parents de Latrell ont connu la sélection Black, « Buff » Milner et George Skudder. Lui a rapidement été détecté au collège puis par l’équipe universitaire de rugby à 7 de sa province, avant d’intégrer, à 7 encore, l’équipe nationale des Barbarians Pacifique.
« On doit être exemplaire »
C’est avec tout ça qu’il a débarqué il y a quelques saisons à Te Awamutu, « la ville rose » de Nouvelle-Zélande. Capitaine de l’équipe, meneur du haka à l’intensité rare, le garçon est modeste aussi. Il serre la main des deux petits de Port-de-Bouc qui portent la bannière néo-zed au moment des hymnes, épaule le plus ancien supporter du club, 93 ans, à qui la ville voulait rendre hommage, il a un mot et un sourire pour qui veut une photo. « On a un devoir sur le comportement et sur l’éducation. On doit être exemplaire, c’est dans notre culture, c’est ce qu’on nous apprend aussi, explique-t-il. On ne représente pas une ville, on représente un pays ».
Les deux en fait puisque Ian Foster, l’actuel sélectionneur des All Blacks engagé dans la coupe du monde de rugby, est originaire de Te Awamutu. Il y a grandi et joué. Et c’est là qu’il a annoncé officiellement la liste des joueurs Blacks sélectionnés il y a quelques semaines. Ça compte et ça pèse. «On a une responsabilité, ce qui nous importe, c’est le jeu. Il y a une véritable exigence ». Et là, ça ne rigole pas. Deux ballons tombés contre la modeste équipe de Belgique, et ça part pour un débrief serré et une demi-heure de passes sur le terrain d’appoint. Latrell comme les autres.
La saison prochaine, le jeune Samoan de 22 ans évoluera en Europe. Au Portugal, à Benfica, ce qui prêterait à sourire quand on ne sait pas que cette nation émergente qualifiée d’un souffle à la coupe du monde de rugby 2023, dans les 20 meilleures nations mondiales donc, ne recrutait pas à tour de bras actuellement des techniciens et des joueurs des antipodes pour renforcer leurs staffs. Son entraîneur, Travis Church, un gaillard qui a porté les couleurs de Châteauneuf-du-Pape deux saisons, sera du voyage aussi. C’est d’ailleurs lui qui amène Latrell dans l’aventure. Pas très loin de la France et de l’Angleterre quand on regarde tout ça à 20 000 kilomètres de distance. « Ce qui m’intéresse, c’est l’expérience à l’étranger, ça remplit aussi une vie».
Désigné meilleur joueur du tournoi qualificatif, Latrell est sérieusement en lice pour inscrire son nom, son pays, et le offload roi au premier palmarès de la première coupe du monde amateur. Ou voir jouer le Peter Pan de Te et cette équipe néo-zélandaise ? Jeudi à 18h à Manosque pour son quart de finale contre l’équipe du Tonga. Duel de frères.
LE QUIZZ de Lattrel
Ses joueurs préférés. Néo-Zed « Dan Carter, depuis toujours ». Etranger Siya Kolisi, le 3ème ligne aile de l’Afrique du Sud et bientôt du Racing 92 en France. «le premier capitaine noir de l’histoire, ce que Nelson Mandela aurait voulu voir. C’est important pour nous, c’est plus qu’un simple symbole ». Français « Antoine Dupont, l’agilité et la vitesse d’un trois-quart, la force et la puissance d’un avant, la synthèse absolu, un extra-terrestre. J’espère qu’il se remettra vite de sa blessure et qu’il pourra revenir dans la Coupe du monde ».
Le geste absolu du rugby et qu’il préfère faire. Un seul mot « offload », la passe après contact dans l’intervalle pour assurer la continuité du jeu.
Son pronostic pour la finale de la Coupe du monde. « Nouvelle Zélande vs France. 21-18 »