Revanche du match d’ouverture, l’équipe de France a retrouvé la Nouvelle-Zélande, éliminée en quart de finale par les Tonga, Même affiche, autre match : les joueurs de Digne avaient haussé leur niveau et sont tombés les armes à la main (24-13).
Bis repetita. On ne change pas un moment qui prend les tripes et qui annonce du combat. Comme pour le match d’ouverture samedi dernier à Port-de-Bouc, le haka néo-zélandais de Te Awamutu conduit par Latrell (lire son portrait sur le site) a franchi la ligne règlementaire du centre du terrain en transe intégrale, sacrilège pour les intégristes All Blacks et les dépositaires du protocole maori. Tête contre tête, les yeux dans les yeux, si l’on était, à cet instant-là, sur un match en fédérale, l’histoire aurait fini à l’hosto.
Mais là, ça fait dresser les poils. Surtout après une Marseillaise reprise à pleins poumons par le XV de France, plus qu’à l’ordinaire pour suivre les notes si haut perchées du standard de Mireille Mathieu, Nous, ça nous a (encore) sorti une larme. Et le type d’à côté aussi. Ca nous rassure.
L’entame ne pouvait donc être que dantesque. Vexés par leur défaite en quart de finale à Manosque contre leurs frères Tongiens (15 à 12), motivés par le calvaire et le chemin de croix que leur pays a infligé aux Italiens la veille au soir (96 à 10), les Blacks du jour font donner Latrell Ah-Kiong d’emblée, leur demi-d’ouverture, centre ou ailier surdoué, c’est la position du ballon qui compte chez lui, pas le poste. Séquence de crochets fluides, off load improbable, tout y passe. Les Néo-zed ont les crocs. Et vont s’offrir un festin dès la 5ème minute sur un ballon porté destructeur dans l’axe (7-0).
Paul Bousser régale
Mais les Dignois ont haussé considérablement leur niveau de jeu en une semaine. Au point que l’on plaint leurs adversaires en championnat régional, quand les lampions de ce Mondial amateur se seront éteints dimanche. Les Bleus (on n’a même plus envie de parler de Digne) ont de l’orgueil à revendre et un Bousser en forme olympique.
C’est lui qui, 3 minutes après, à la 8ème, allume la mèche après un coup de pied par-dessus de l’ailier Craft, remuant, et un tampon, motivé, à l’arrière néo-zed, surpris. La France récupère le ballon, Bousser, encore, dans un off load d’école, décale le centre d’origine fidjienne Waqualiva qui passe les bras à son tour et envoie comme un symbole Nicolas Limouzy, le capitaine, lancé à hauteur, à l’essai. 7-7 après la transformation de l’inévitable Paul Bousser. Quelques minutes plus tard, alors que la troisième ligne française – Naivare, impérial tout le match – fait un travail à la hache sur les attaquants adverses et les relances, Bousser convertit une pénalité de 50 mètres (10 à 7).
Te Awamutu est pris à son propre jeu et Church, l’entraîneur qui a joué deux saisons à Châteaueuf -du-pape, dans le Vaucluse, s’impatiente en faisant les cent pas le long de la ligne de touche, visage fermé. La boule au ventre sans doute. Elle est moins prégnante à la 15ème quand son arrière joue une pénalité rapidement à la main, les Dignois ne sont pas replacés. Trois passes dont un cadrage parfait du seconde ligne Coffin, plus de 2 mètres, 125 bombes, une gueule parfaite et un sens de la passe affirmée, envoie son centre Karaka à l’essai. 10-14 après la transformation.
3 minutes après, c’est le pilier néo-zed Moauanga qui s’offre une valise de 30 mètres à grands coups d’épaule dans la défense française. Passe au pied de l’ouvreur pour le même Coffin encore, positionné sur l’aile, et qui marque. C’est l’un des tournants du match. L’arbitre annule la tranversale, la même que Jordie Barret dépose la veille dans les bras de Jordan, contre l’Italie. Essai refusé in fine par l’arbitre pour une sombre histoire de grattage illicite sur l’action précédente. Nous, on dit que c’était si bien exécuté que ça valait récompense. Pour la beauté et l’élégance du geste. Mais bon.
Bousser ramène le score à 13-14 à la mi-temps, avec une pénalité face aux poteaux (de la roupie de sansonnet pour lui).
Un essai évitable sur un ballon au pied dans l’en-but mal négocié et une autre maladresse auront finalement raison des Français. Score final : 24-13. La Nouvelle -Zélande prend la 5ème place du Mondial amateur, la France la 6ème.
Merci …
Qu’en restera-t-il ? Des émotions. Que des émotions. Les « franco-dignois » ont fait bien plus qu’honorer leur maillot, de club et de représentant français. Ils se sont transcendés, comme l’avait prophétisé le capitaine Limouzy et le président du club Jérémy Teyssier lors du dernier entrainement sur leur stade ordinaire il y a dix jours à Digne, vide et humide, en râbachant « ce ne sera qu’une fois dans votre vie, faites vous plaisir ».
Ils ont fait mieux : ils ont monté le volume de l’engagement, à l’image d’une troisième ligne intraitable et d’un Villalas hors-sol. Ils ont hissé leur niveau de jeu comme on ne l’avait jamais vu, joué à en mourir s’il le fallait, et pas pour faire une jolie phrase.
Ils ont su faire aussi de leur défaite un moment de joie et de bonheur partagé avec leurs adversaires du bout du monde qu’ils garderont sans doute comme amis et frères. Et ça, c’est le rugby. Plus encore dans le rugby amateur où après cette semaine hors du temps, la plupart seront de retour au boulot lundi. On n’aura donc, à Terra rugby, qu’un seul mot pour ces garçons. Merci.
Christian Califano, parrain du Mondial amateur et monstre sacré du XV de France, avait fait le déplacement hier à Digne. A son actif : 72 sélections, six titres avec le Stade Toulousain, 1 coupe d’Europe et deux grands chelems. Il est aujourd’hui pilier de TF1 et homme de terrain sur les retransmissions des matchs de coupe du monde.
Photo Nicolas Barbaroux