L’ancien enfant prodige du rugby et du Stade français a stoppé net sa carrière à 25 ans, miné par les blessures, les excès, la dépression. A 43 ans, il se sert de son expérience pour prévenir les risques liés au sport de haut-niveau et la partage à travers des conférences mais aussi le théâtre. Rencontre avec un homme singulier et attachant.
Tout est allé vite. Si vite. Trop vite. A 18 ans, Raphaël Poulain quitte son village près de Beauvais pour les paillettes du Stade français. Il découvre le rugby pro, qui en est à ses balbutiements, et la Capitale. Au mitan des années 90, le club parisien bouscule les codes du rugby dans l’Hexagone avec son calendrier, ses avant-matchs festifs à grands renforts de pom-pom girls, son président atypique (Max Guazzini) et ses joueurs starisés.
Le jeune Raph’ croque dans l’aventure à pleine dents. Il endosse le costume de grand espoir du rugby français. « Je deviens surtout le cliché et une caricature de moi-même, à travers mes blessures (six opérations en sept ans) et mon hyper-performance. Je prends huit kilos de muscle sans me doper ».
Il est comparé aux Néo-Zélandais Lomu et Umaga pour son physique hors du commun. Raphaël Poulain connaît l’argent, la gloire, la notoriété. Il va se brûler les ailes. « On donne 5, 6 ou 7 000 balles par mois à des jeunes mecs qui ne sont pas préparés. Je prends le melon et je croque. Attention, je n’ai aucun regret ! J’ai joué devant 10 000 personnes avec des mecs qui sont devenus des frères ». Mais en 2005, tout s’arrête brutalement et il connaît une longue descente aux enfers, avec une phase de dépression qui aura duré plus de dix ans.
Aujourd’hui, le mari de Julie et père de famille (il a deux enfants de 4 et 7 ans) sait que son histoire n’est pas anodine. Surtout dans un sport qui a connu une vague de suicides ces dernières années (Christophe Dominici, Geoffrey Abadie, Jordan Michallet, ancien joueur de Rouen, etc.). Lui s’est libéré de son passé pour mieux l’évoquer avec son livre « Quand j’étais Superman », paru en 2011, et par le biais de conférences « où je parle aussi bien à des patrons du CAC 40 ans qu’à des lycéens de première ». Une forme d’introspection douloureuse mais nécessaire et salvatrice.
« Quand j’ai découvert la philosophie, j’ai ouvert la boîte de Pandore. Une partie de moi-même est morte. Symboliquement, quand d’autres sont partis physiquement ». Son exemple (ou contre-exemple) doit alerter sur les dangers qui guettent l’homme moderne, vulnérable, fragile, dépendant. Surtout dans le sport de haut-niveau.
« Mon histoire, elle est universelle et caricaturale. Avec le rugby, on est dans un milieu pro. Il existe du harcèlement moral, des dépressions, des burn-out. Il faut soutenir ces chevaux de course sur le plan mental et psychologique ». Raphaël Poulain défend un accompagnement du sportif, avec notamment son association Néo-héros, née de la disparition soudaine de son pote Christophe Dominici en 2020. Un électrochoc.
« J’ai fait un podcast (sur ce drame) qui a été vu par cinq millions de personnes. J’ai vu la tristesse des gens. Mais plutôt que de balancer trois tweets et un podcast, je me suis dit que j’avais un truc à jouer. Alors j’ai créé cette asso. Quand tu en as tellement chié et que tu en reviens, tu as envie que ton cas serve à quelque chose ». Cette association entend prévenir les risques psycho-sociaux chez l’homme. Pas évident dans un domaine encore tabou. Or, 75% des suicides concernent des hommes.
Raphaël Poulain ne prend pas la parole parce qu’il est une sorte d’icône mais parce que « je veux faire de mon cas un truc positif ». Il entend briser l’omerta autour de la santé mentale du joueur de rugby. « Tu peux être performant sur le terrain avec moins d’efforts psychologiques et plus de plaisir ».
Le cas du troisième ligne centre du XV de France Grégory Alldritt, qui s’est accordé une pause de quelques semaines après la Coupe du monde, n’est pas neutre. Avant lui, les stars des All Blacks Richie McCaw et Dan Carter avaient mis leur carrière entre parenthèses plusieurs mois pour mieux revenir.
« C’est ce que j’aime dans cette génération, ils ont le pouvoir sur leur vie. Alldritt s’est dit : « je vais prendre du repos, vous pouvez me juger, mais c’est ma vie. Oui, les joueurs ont aussi le droit de se plaindre ».
Oser exprimer ses émotions, ses traumatismes, ses peurs, voilà ce que défend Raphaël Poulain. Car pour lui, les valeurs du rugby ne sont pas désuètes. « On peut se donner bonne conscience en les évoquant, mais elles existent encore. Mathieu Acebes, l’ailier de l’USAP, c’est un héros du genre humain selon moi. Il n’a pas honte d’exprimer ce qu’il ressent. Comment Perpignan arrive à rester en Top 14 ? C’est grâce à lui et au courage qu’il inspire. Comme Gabrillagues au Stade français, c’est le dernier des Mohicans. Ou Ugo Mola qui dit à ses joueurs de venir boire des bières avec lui. Dupont, Alldritt, Penaud, les réseaux sociaux gèrent leur image. Mais au coin d’un bar, il y aura toujours un fou rire et une bière qui traîne. J’adore ce sport pour toutes ces histoires humaines ».
Le rugby, une allégorie de la vie ? Cela ne fait aucun doute pour Raphaël Poulain. « La vie, c’est un bus de rugbymen. Devant, tu as les managers, les patrons. Au milieu, les introvertis, les plus compétents, ceux qui font avancer la machine mais qui se taisent. Et au fond, les petits cons, ceux qui font marrer. Moi, j’ai toujours été sur la banquette à cinq places ». Il se dit «heureux d’avoir été un connard » mais veut transmettre, lui qui « n’a jamais su faire une passe ».
Trois fois par mois, il donne des conférences. « Libre à chacun de prendre ce qu’il souhaite dans ce que je raconte. Je veux que ça parle à l’être humain, faire du bien aux gens, les reconnecter à leurs émotions. Le bout du bout, c’est dire que la vie est belle ». Lui est heureux. Un bonheur simple, incarné au quotidien. Avec d’autres rêves à accomplir, comme celui de présenter son histoire sur scène, au festival d’Avignon. Tout est permis. Même de revenir de l’enfer.
Le livre de Raphaël Poulain. Aujourd’hui, il explique en team bulding le Superman 2 : la renaissance !
« Fabien Galthié affiche une forme de toute puissance »
Il ne l’a pas épargné. Car lui non plus. Dans son livre « Quand j’étais Superman », Raphaël Poulain évoque sa relation houleuse avec Fabien Galthié qui, en janvier 2005, lui avait dit « tu es un bon mec pour le groupe, énorme dans la déconne, mais je ne crois pas que t’as le niveau pour jouer en Top 14 et au Stade français ». Quelques mois plus tard, Max Guazzini lui annonçait que son contrat ne serait pas reconduit. Le début de la fin. Il avait alors dit à celui qui occupe le poste de sélectionneur : « tu es énorme techniquement, y’en as pas un qui t’arrive à la cheville en France. Mais humainement, tu ne vaux rien ».
Quelques années après, les deux hommes se sont vus à la Gare de Lyon. « Il m’a dit le ressentiment qu’il avait envers moi quand je parle de lui en 2005. Je lui ai dit pourquoi je l’avais fait. J’ai vécu du harcèlement moral avec Galthié. Il n’a pas eu conscience du mal qu’il m’avait fait. Mais je n’ai pas été le seul ! J’ai en revanche été le seul à l’évoquer… Je parle de lui au présent, c’était en 2005. Aujourd’hui, la hache de guerre est enterrée ».
Il n’est pas surpris par le discours tenu par Fabien Galthié lors de sa conférence de presse accordée voilà quelques jours, trois semaines après l’échec en coupe du monde contre l’Afrique du Sud. « A quel moment il se remet en question ? Il a trente mecs derrière lui et il termine quart de finaliste. Forcément, des erreurs ont été commises. Mais ce n’est pas évident de se remettre en cause, il faut défoncer l’ego. Galthié affiche une forme de toute puissance, c’est un bon communicant, tout le monde le bade ».
Avec son regard extérieur, qu’il a longtemps exprimé sur Eurosport avec sa chronique « Poulain raffûte », il estime que le XV de France a encore de belles heures devant lui. « Il va falloir passer par une phase de résilience et de colère pour renaître. Et que ce groupe-là prenne le pouvoir ».