BILAN. Près de six semaines après, les premiers bilans du Mondial amateur de rugby sont au vert. Mais plus que des chiffres, Terra rugby retiendra surtout des moments. Et cette émotion qui donne du sens à la compétition.
Si l’on devait mesurer au ruban de couturier l’impact du premier Mondial de rugby amateur de l’histoire, organisé du 22 au 30 septembre en Région Sud, on ferait pas loin d’un tour de planète justement. A vos calculettes, tout s’additionne pêle-mêle :
- 16 équipes de clubs des mêmes pays que la Coupe du monde WRC, représentant 5 continents.
- 530 joueurs et 300 accompagnants.
- 700 bénévoles.
- 54 matchs sur 7 sites en 7 jours répartis sur les 3 départements des Alpes de Haute-Provence, des Bouches-du-Rhône et du Var.
- 5 000 personnes pour la finale dans les gradins du stade Jean Rolland à Digne-les-Bains (04), 15 000 sur les 6 autres stades de la région pour les matchs précédents.
- 18 867 kilomètres très précisément entre la ville de Nouvelle-Zélande Te Awamutu, la contrée la plus lointaine, et Digne.
- 27 reportages TV, 19 radios, 295 reportages dans les journaux et magazines, 250 sur le web, la retransmission de tous les matchs en mondio-vision sur la plateforme Sportall, des audiences cumulées folles à 1 milliard de contacts ! (lire ci-dessous).
Défi plus que réussi. Inespéré même.
Des histoires humaines avant toute chose
Mais au-delà des chiffres, bruts et cliniques, il y a les êtres. Et leur rêve. A ce niveau-là, il n’y a pas de statistiques. «Il n’y a, comme l’écrivait René Char, que deux conduites avec la vie : ou on la rêve ou on l’accomplit ». Ce monument de la littérature, copain de bordée et complice de plume d’André Breton et Paul Eluard entre autres, a longtemps porté les couleurs du BCI à l’Isle sur la Sorgue au poste de deuxième ligne aussi rude que sa plume était fine, puis de Châteaurenard en 2ème division nationale. Et oui, le rugby est partout. Sa pensée sur la vie rejoint en tout cas ici la philosophie du Mondial amateur, né autour d’une bière comme souvent, il y a quatre ans, comme un rêve fou ; un rêve accompli il y a quelques semaines dans un tournoi singulier marqué par des émotions si plurielles que l’on ne pouvait pas ne pas en partager un petit florilège au moment d’un bilan humain si précieux.
Avec le peuple retrouvé des rambardes où l’on s’accroche le long des stades, on a vu des gamins, des garçons mais beaucoup de filles aussi, faire des portés en touche avec les gaillards tatoués des Tonga, que France 2023 avait aidé à boucler le budget du voyage.
On les a vus jouer à toucher aussi ces petits avec les Chiliens arrivés plus tôt que les autres pour mieux se préparer, bader les immenses Sud-Af, champion du monde eux-aussi avant leurs aînés, s’arracher les poumons sur les hymnes et s’esquinter les mains pour encourager le XV de Digne devenu par la magie d’un moment non plus un petit coin de France, mais La France.
On les a vus ces enfants, collectionner les autographes de joueurs disponibles, souriants et attentifs, c’est rare aujourd’hui dans le rugby pro où ces mêmes enfants sont parqués derrière des barrières ou au mieux de la rubalise avec un escadron de forces de l’ordre en garde-chiourme.
On les a vus, là, multiplier les selfies, raconter au diner familial du soir le salut d’un japonais délicat, la poignée de mains d’un pilard géorgien disons plus rude, le clin d’oeil d’un néo-zed, la bise après les hymnes aux minots porte-drapeau.
On a croisé à Sisteron un petit blondinet du coin arborant avec la fierté incandescente de son âge, la dédicace entremêlée d’un Anglais obscur et d’un fermier Australien tout aussi inconnu sur un tee shirt qui n’ira jamais au lave-linge, pas plus qu’il ne quittera le fond de l’armoire de la chambre à coucher.
Ils sont convaincus les petits – qui pour beaucoup ne l’ont pas encore appris – que Brian n’est pas dans la kitchen mais en short sur le pré à courir après un ballon aux rebonds capricieux et pas après Jenny…
On a vu aussi le demi de mêlée américain Matthis Demandolx écraser une larme en découvrant pour la première fois le village de ses ancêtres dont il porte le nom en Californie (Demandolx, 130 âmes dans le 04 aux portes du Verdon).
On a vu les Belges invité surprise à Port de Bouc entrainer les Néo-zed dans une gigue flamande alors qu’on pensait sérieusement qu’ils ne savaient pas danser autre chose que le haka. On a vu ces mêmes Néo-Zed entonner un chant maori à chaque fin de repas à l’adresse des cantinières bénévoles de l’organisation.
On a vu, encore, des Japonais venus remercier l’aide internationale et française lors du tremblement de terre de 2011 dans leur région de Kamaishi et qui ont monté leur équipe spécifiquement pour le mondial amateur et ce souvenir-là. Pour rendre un peu de ce que l’on leur avait donné, comme l’a dit le manager. On se croirait à Auch…
Mais on a vu du jeu aussi. Et des équipes qui ont hissé le leur, comme le XV de France, bien au-delà de leur niveau en championnat domestique. Un jeu aéré, pas ampoulé des fameuses, sacro-saintes et pour tout dire ennuyeuses, « sorties de camp » du rugby pro. Du jeu, de l’enjeu, mais surtout du mouvement, des passes et des vagues, comme l’imposaient les durées raccourcies des matchs à 2 fois 20 minutes pour tenir la semaine.
On a vu des joueurs que l’on reverra, à la télé cette fois. Le demi d’ouverture néo-zélandais Latrell et ses déboulées félins, en partance cette saison déjà pour l’Europe, quelques gaillards d’Hamilton qui pourraient bien figurer dans le squad Sud-af en quête d’un cinquième titre en Australie dans quatre ans, des étudiants argentins en partance pour leurs études supérieures vers Paris.
« Quelque chose s’est passé. On a créé des liens, c’est le sens même du rugby, commente Jérémy Teyssier, le fondateur, directeur, président et homme à tout faire de ce Mondial. Et ça continue. Hier, j’ai reçu un message d’un joueur géorgien qui voulait les coordonnées du capitaine de l’équipe d’Australie avec qui il avait sympathisé parce qu’il part en voyage là-bas et qu’il aimerait le revoir. Je suis parti quelques jours en famille à Cardiff et j’ai croisé au hasard d’une boutique de l’aéroport un joueur gallois qui m’est tombé dans les bras ».
Cap sur l’Australie en 2027
« Impose ta chance, serre ton bonheur, va vers ton risque ». C’est le début du poème de René Char cité plus haut. Et ça, Jérémy Teyssier et les siens savent faire. Le Mondial amateur aura donc une suite. L’association montée à l’occasion continuera en 2024 ses projets sociaux lancés avec ses partenaires, dont l’opération Rugby2Rue qui a vu 200 gamins se disputer les finales dans l’enceinte même du Stade Vélodrome. Rugby@School est déjà en route.
Quant au Mondial, Jérémy et ses équipes ont déjà été approchées par la Fédération de rugby australienne qui organise la Coupe du monde de rugby dans quatre ans, mais aussi par la ville de Perth, qui aimerait prendre le relais de Digne sur l’événement amateur. « Pour l’heure on finit les bilans, mais ce sera le travail de ces prochains mois que de donner une suite et une vie à cet événement dont le rugby amateur a besoin, de transmettre notre expérience ».
Nous, à Terra, ce Mondial nous aura permis de confirmer, dans la plénitude de la formule, cet adage si célèbre du rugby présenté comme « le seul sport où l’on se rencontre, alors qu’ailleurs on se croise ». Nous avons surtout compris que c’était le sens profond de notre engagement dans notre modeste aventure de Terra rugby, ce que l’on voulait vivre et partager en tout cas. Alors merci pour ça.
L’homme qui valait un milliard
Thierry Auzet est un enfant de Digne. Il a joué au rugby bien sûr, testé parmi les premiers la piste de KL de Vars, tracé une diagonale professionnelle vers Paris à la tête de « RevolutionR », une agence de communication et d’événementiel parmi les plus performantes du marché.
Avec ses équipes, il a mouillé le maillot pour médiatiser le Mondial chez lui. Il a épuisé son carnet d’adresses, mélangé le four et le moulin, tenu même le micro des commentaires de matchs pour les diffusions télé sur la plateforme Sportall qui a retransmis toutes les rencontres dans le monde.
«On a enregistré 1 milliard de contacts. C’est le résultat d’un calcul de médiamétrie classique de plus en plus fiable et précis. Pour faire simple, c’est le nombre de gens qui ont été en contact avec l’événement à travers les différents supports qui l’ont diffusé et leur audience. Quand vous faites le 13h de TF1, ça a un énorme impact ».
Françis aurait été fier. Le papa de Thierry, disparu aujourd’hui, a formé des générations entières de joueurs des Alpes, dont la nôtre, aux valeurs de ce jeu. Ce qui n’a pas échappé à notre illustre confrère Richard Escot, qui a fait un clin d’œil à cet homme hors norme dans son dernier livre « Les 100 mots du rugby ».
Revivez le Mondial avec cet excellent reportage de France 3 pour « Enquêtes de régions »