L’ancien manager des Canterbury Crusaders a dirigé son premier entraînement à la tête des All Blacks la semaine dernière, à Auckland. De nombreux thèmes ont été évoqués par le technicien de 49 ans lors de sa rencontre avec les médias.
La hache de guerre n’est pas encore enterrée. Lors de son premier face à face avec les journalistes néo-zélandais, Scott Robertson a logiquement été interrogé sur le passage de relais avec son prédécesseur Ian Foster. Deux hommes dont les relations s’étaient tendues avant la Coupe du monde en France. A cette époque, les All Blacks traversaient une zone de turbulences avec cinq défaites sur six tests contre la France, l’Angleterre, l’Irlande et l’Afrique du Sud en 2022 et le sélectionneur des Blacks était sur un siège éjectable. Une fragilité dont profitait Robertson pour multiplier les appels du pied à la fédération.
« Je suis sûr qu’il est en train de bronzer quelque part, glissait Scott Robertson avec malice au sujet de Ian Foster. Il y aura un petit passage de relais. Ce sera bien de s’asseoir et de parler avec lui de ses expériences ». Mais le nouveau manager entend tout de même tourner rapidement la page. « Nouvelle année, nouveau départ ». Le nouvel homme fort des All Blacks ne veut pas faire table rase du passé mais il souhaite imposer sa griffe et ses méthodes. Un projet où il s’appuiera sur un staff très élargi avec Leon MacDonald, Jason Holland, Scott Hansen et Jason Ryan. « Wayne Smith viendra et aura son petit mot s’il en a besoin ». Car un chantier colossal s’ouvre pour Scott Robertson et ses adjoints.
La deuxième ligne est à rebâtir après les retraites internationales de Sam Whitelock, qui porte les couleurs de Pau, et de Brodie Retallick, alors qu’Aaron Smith a également tiré le rideau sur sa carrière avec les All Blacks.
Reste les cas de Sam Cane, de Richie Mo’unga, de Beauden Barrett ou encore d’Ardie Savea, qui ont décidé de tenter l’aventure au Japon. D’ailleurs, ils n’étaient que 22 lors de la reprise, tous ayant participé au dernier Mondial en France.
Dans le squad de la Coupe du monde, onze ont quitté la Nouvelle-Zélande. Ce qui pose de nouveau la question de la sélection des joueurs à l’étranger. Scott Robertson pose le débat. « Tout le monde doit garder l’esprit ouvert, a-t-il lancé. Les choses évoluent très vite. Comme nous le savons, il y a beaucoup de choses sur et en dehors du terrain, des joueurs, des décisions et des contrats, et je veux avoir une longueur d’avance sur tout cela. Je veux déchiffrer tout cela ». Un sujet brûlant sur lequel le nouvel homme fort des Blacks n’a certainement pas toutes les cartes en main.
Mais avant de pouvoir véritablement constituer son groupe, Scott Robertson gardera un œil sur le Super Rugby, où « The razor », comme on le surnomme ici, a régné en maître avec la franchise des Canterbury Crusaders en alignant sept titres d’affilée.
« Ce qu’il y a de bien avec le Super Rugby, c’est qu’il est ouvert, vaste. Il y a toujours quelqu’un qui passe. Il suffit de regarder Cam Roigard (un débutant en 2023). C’est un excellent exemple.Ils sont bien entraînés au niveau du Super Rugby. Quelqu’un peut émerger assez rapidement ». Ce n’est qu’à la fin de la compétition, le 22 juin prochain que le travail va véritablement pouvoir commencer pour Scott Robertson, celui dont le poste est le plus scruté du pays… avec celui de Premier ministre !
En black, sang et or
Avant Dan Carter, l’actuel sélectionneur des All Blacks a été le premier néo-zélandais à porter les couleurs de l’USAP, entre 2003 et 2006. Ses anciens partenaires se souviennent d’un joueur exigent, rude et atypique.
Un recrutement trois étoiles. Lorsque Scott Robertson débarque au pied du Canigou, il n’est pas le seul joueur de renom à intégrer l’effectif catalan. Avec lui arrivent l’Australien Daniel Herbert ou encore les Anglais Dan Luger et Tim Stimpson. Mais du haut de ses 23 sélections avec le maillot à la fougère, le Néo-Zélandais est sans doute la recrue la plus clinquante. « Notre président (Marcel Dagrenat, ndlr) était un peu visionnaire, confie Bernard Goutta, l’ancien troisième ligne de l’USAP. Pour avoir du spectacle dans le stade et obtenir des performances, il fallait des noms. Scott, c’était une recrue phare, ciblée ». L’ennui, c’est que Scott Robertson pose ses valises dans le Roussillon avec une belle carte de visite mais un genou qui grince un peu.
Dès son premier match, il se blesse. Il mettra du temps à revenir. Il vivra sa reprise au côté de l’ancien trois-quart centre, Christophe Manas, devenu depuis maire de Cornilla-del-Vercol et élu régional. « Je lui avais appris des noms de combinaisons simples, comme les passes croisées ou redoublées, rappelle-t-il. Il apprenait très vite ». Sous les couleurs de l’USAP, il disputera 54 matches dont 39 titularisations pour cinq essais marqués, et une finale de Top 16 en 2004, perdue contre le Stade français.
Une expérience en terres catalanes vécue en dents de scie en raison d’un genou récalcitrant. « Je n’ai pas d’hésitation à dire que (2005-2006) c’est ma meilleure saison depuis que je suis là. C’est tout simplement la seule où j’ai eu l’impression de disposer de tous mes moyens physiques, même si je sais aussi que je peux faire beaucoup mieux encore« , avouait-il la veille de son dernier match avec l’USAP en 2006. Malgré tout, sa popularité est restée intacte auprès du public catalan et de ses anciens coéquipiers.
Nous, on se préparait à la guerre. Lui nous a appris à prendre de la hauteur
Bernard Goutta
Cinq ans avant Dan Carter, il a permis à l’USAP d’entrer dans une autre dimension. « A l’époque, on venait de disputer la finale de la Coupe d’Europe, on voulait faire parler de nous, indique l’ex-talonneur Michel Konieck. L’idée, c’était de faire progresser le club, que tout le monde connaisse Perpignan« . Avec le Néo-Zélandais et Bernard Goutta, Greg Le Corvec complétait une troisième ligne redoutable. Il admet que « le club passait un cran supérieur, on avait une autre visibilité ». Mais Robertson n’était pas qu’un nom. Il a su s’intégrer dans le groupe avec sérieux et humilité.
« Même si ce n’était pas un aigle en français, c’était un leader par l’exemple », glisse Michel Konieck. « Le rugby est un sport de combat. On est tous soumis à la rudesse de ses coéquipiers lors des entraînements, que l’on arrive de Nouvelle-Zélande ou des espoirs. Scott a su gagner le respect du groupe et lui fairre croire en ses qualités« , poursuit Christophe Manas. Très vite, son influence s’est ressentie sur le comportement de l’équipe. Les Catalans ont gagné en confiance, disputant des demi-finales en Top 16 et en Europe.
Surnom : The razor…
« Il a amené une autre façon de travailler, sa culture néo-zélandaise. Il était très fort sur les détails dans les placages, les rucks, les skills. Il a pris Jean-Pierre Pérez sous son aile et lui a permis de progresser« , estime Bernard Goutta.
Surnommé « The razor » (un sobriquet répété par tous les joueurs contactés), Scott Robertson était un joueur très rude, très dense, très dur en défense. Ces caractéristiques ont construit sa réputation et sa carrière. « Il nous a appris ce qu’était le haut niveau, notamment dans la préparation. Quand on faisait de la muscu aussi, il y avait toujours un ballon au milieu. Tout était ludique« , précise Greg Le Corvec. « Pour lui, le rugby est une fête, prolonge son ancien compère le troisième ligne de l’USAP, Bernard Goutta. Nous, on se préparait à la guerre. Lui nous a appris à prendre de la hauteur sur les événements. Il avait cette capacité à switcher« . « Il avait plusieurs boutons », rigole Michel Konieck, qui parle avant tout d’« un bon mec ».
Le talent et la rigueur vont de pair avec une bonne dose de fantaisie chez Scott Robertson. Tous évoquent un homme attachant et atypique. Comme lors d’un stage à Font-Romeu où il a terminé torse nu en train de faire le haka sur le comptoir d’un bar. Le voir célébrer un titre en réalisant une séance de breakdance ne surprend pas ses anciens partenaires de l’USAP. « Il faisait déjà la vague, il était très cool », confie Greg Le Corvec.
« Il était excentrique, bringueur, un peu farfelu. Mais quand il jouait, il ne s’épargnait pas », assure Michel Konieck. « Son caractère lui permet de mettre un peu de légèreté dans la fonction d’entraîneur. C’est un métier tellement stressant, il faut parfois avoir une âme d’enfant, de junior. Scott l’a ! Les Blacks ne l’ont pas pris par hasard, ils le connaissent par coeur », observe Christophe Manas. « C’est vrai qu’il était un peu foufou, mais il avait déjà l’oeil, le souci du détail et l’exigence. On échangeait beaucoup, notamment sur la zone plaqueur-plaqué », continue Bernard Goutta, qui a conservé le contact avec l’actuel sélectionneur des All Blacks. Il aurait même dû se rendre en Nouvelle-Zélande pour retrouver celui qui était à l’époque à la tête des Canterbury Crusaders, pour un stage, sans que cette initiative se concrétise.
L’ancien manager d’Agen estime que le présence de Robertson à la tête des Blacks répond à un processus logique. « C’est une continuité, une forme de transmission », dit-il quand Michel Konieck voit « une reconnaissance pour les anciens que l’on n’a pas en France. Les Blacks ne fonctionnent pas comme nous. Pour eux, le rugby reste un jeu. Scott colle à cette mentalité ». Pour Christophe Manas, le voir à la tête des Blacks, « c’est fabuleux. Je savais qu’il voulait être entraîneur mais jamais je n’aurais imaginé le voir si haut. On regardera les matchs des Blacks avec un autre regard, plus amical ».
A Perpignan, il a su se fondre dans le paysage, appréciant les escargots, l’aïoli, la fête et l’ambiance bouillante d’Aimé Giral. Sans doute l’USAP a participé à sa réalisation en tant qu’entraîneur, comme lui a permis au club catalan de tracer son chemin vers le titre de 2009.