Moana Pasifika, l’âme des guerriers

C’est sans doute l’équipe la plus atypique du Super Rugby. Composée uniquement d’îliens, la franchise basée à Auckland a intégré la compétition voilà deux ans, avec des débuts difficiles (trois victoires en deux éditions). Mais l’essentiel va bien au-delà du rugby pour Moana Pasifika. Reportage réalisé au North Harbour Stadium par Nicolas Barbaroux, Jean-Michel Marcoul […]
Moana Pacifica

Avr 4, 2024

Un soleil de plomb écrase le terrain d’entraînement. Au cœur de l’été austral, Tana Umaga, le nouvel entraîneur de Moana Pasifika, donne de la voix, accompagné de son adjoint, le Gallois Stephen Jones. Les deux hommes ont pris la barre de cette franchise exclusivement îlienne fondée en 2020, après des années d’atermoiements. Celle-ci a posé ses valises au nord d’Auckland pour des raisons économiques bien entendu, mais aussi au regard de la proximité avec la forte population originaire des îles du Pacifique (15% dans la plus grande ville du Pays, contre 10% de Maoris « originels » par exemple). Un choix stratégique pour un projet bâti afin de mieux intégrer cette communauté et de défendre la culture du Pacifique.
« Moana, c’est bien plus qu’une franchise de Super Rugby, explique Peter White, le manager de la formation. Elle fait partie intégrante de la communauté îlienne. On veut créer des chemins pour aider la population du Pacifique à s’intégrer dans l’éducation, le sport, la vie économique ». Cette philosophie trouve sa source dans quelque chose de plus profond, qui lie ces peuples portés par les vagues du Pacifique vers de nouvelles vies et de nouvelles opportunités.

Entame de match épique des Moana Pasifika contre les Maoris all blacks.

 La fierté et l’ambition des communautés samoanes, tonguiennes et fidjiennes trouvent un écho dans Moana Pasifika, qui ne ressemble à aucune autre organisation sportive dans le monde. «Notre franchise Super Rugby est le point de départ de notre mouvement, mais nous espérons nous développer vers de nouveaux codes sportifs et de nouvelles aventures ». 
« Notre objectif sera toujours d’améliorer la vie de tous les Pasifika (…) et de réussir au-delà d’un code sportif, dans les affaires, l’éducation, l’entreprise sociale et les nouvelles entreprises culturelles », explique-t-on au sein du club. Ce programme peut compter sur l’attention des « navigators », sorte de parrains des Pasifika. Un projet social et sportif soutenu par la légende des All Blacks Michael Jones, originaire des Samoa, les trois fédérations concernées (Fidji, Samoa, Tonga) mais également par World Rugby, dont l’objectif est de développer ces trois nations. Pour sa part, la fédération néo-zélandaise, qui avait envisagé de donner un coup de pouce financier à Moana Pasifika avant de faire machine arrière, a accepté de partager les droits de diffusion. 

Mais pour valider ce mouvement et installer les Pasifika sur le devant de la scène mondiale, il faut exister sur le plan sportif. Et là, les choses se gâtent. Car construire une équipe compétitive constitue un véritable casse-tête. « On perd beaucoup de joueurs, à l’exemple du pilier droit Uini Atonio, qui a choisi la France, où des Tuilagi, qui évoluent aussi en Europe. Trop d’éléments optent pour l’Australie ou la Nouvelle-Zélande. On ne peut pas sélectionner qui on veut, surtout ceux qui sont passés par la filière néo-zélandaise », indique Peter White. 

Entraînement des joueurs du Moana Pasifika avec Tana Umaga

En dépit d’une marge de manœuvre limitée, le squad de Moana compte dans ses rangs des joueurs comme les Australiens Sekope Kepu (pilier) et Christian Lealiifano (centre), le demi d’ouverture tonguien William Havili ou encore l’ancienne star des All Blacks, également passée par Toulon, Julian Savea. «Normalement, commente Peter,  nous n’avons pas accès à un tel joueur. Mais il était sans contrat et on a pu le rapatrier. Mais les îliens qui ont mis un pied dans le système fédéral néo-zélandais, on les perd »
Pour contourner le problème, des jeunes venus du Pacifique sont intégrés dans le projet Pasifika. Chaque année, ils sont six (trois des Samoa et trois des Tonga) à être retenus, puis à signer un contrat professionnel avec la franchise s’ils sont performants.

Peter White, manager du club
Vue de l’entraînement

L’année dernière, Miracle Fai’ilagi a passé ce processus de sélection avec succès. Le troisième ligne aile de 24 ans a été l’une des révélations du Super Rugby 2023, ce qui lui a permis d’être sélectionné avec les Samoa et de disputer la Coupe du monde en France (un match contre l’Angleterre). Un exemple qui devrait en appeler d’autres. A condition que World Rugby et la fédération néo-zélandaise maintiennent leur soutien à une franchise que certains considèrent déjà, dans ce monde brut, comme une menace.
« On s’aperçoit que Moana est important pour les sélections des Samoa et des Tonga, ils sont très reconnaissants de notre action. Mais est-ce que World Rugby va accepter que Moana se serve de la Nouvelle-Zélande pour développer de jeunes joueurs qui n’iront pas chez les All Blacks ? Auckland ne nous voit plus d’un très bon œil non plus car on pioche au même endroit ».
Mais l’ombre de Moana Pasifika reste encore très discrète, en raison d’un démarrage poussif en Super Rugby (trois victoires sur 24 matchs en deux participations, la pire performance pour une franchise débutante).

« Jouer pour Moana Pasifika est une opportunité, aux joueurs de la saisir »

Tana Umaga
Tana Umaga, entraîneur Pasifika en Super Rugby,

A l’automne, Aaron Mauger, l’entraîneur en chef lors des premiers pas des Pasifika en Super Rugby, a passé la main pour être remplacé par un autre ancien trois-quart centre légendaire des All Blacks, Tana Umaga. Un staff renforcé par le Gallois Stephen Jones.

« Nous voulons gagner plus d’un match, explique Tana. Je ne suis pas très doué pour me fixer des objectifs, mais je sais que nous pouvons nous battre pour le top 8. Pour le moment, nous n’avons rien montré qui prouve que nous méritons quelque chose de plus. Jouer pour Moana Pasifika est une opportunité, aux joueurs de la saisir. Être professionnel ne doit pas devenir le seul objectif. Il faut travailler dur ». Une approche différente, plus européenne, pour un groupe largement renouvelé (19 recrues) mais avec des joueurs pas toujours habitués à évoluer dans un milieu très professionnel. 

Réputés pour leur puissance et leur physique hors du commun, les joueurs du Pacifique sont également connus pour leur mental plus fragile. Tana Umaga doit les faire progresser dans ce domaine. « Les îliens voient les choses à leur manière, confirme Peter White. Ils se réfugient dans des zones d’ombre. Tana leur dit que c’est noir ou blanc, tout le monde sait ce qu’il doit faire. Le travail est plus important, les joueurs sont plus en forme. Mais il y a toujours des rires, des chants, tout ce qui fait le charme du Pacifique ». Comme ceux qui résonnent dans le centre d’entraînement tous les matins, juste avant la prière.

« Ici, on essaie de passer plus de temps ensemble. On n’a jamais eu de telles installations ».  Les deux saisons passées, Moana occupait le complexe de Mount Smart, à Auckland toujours. Dans des conditions spartiates, sans vraie table de massage par exemple. Là, la salle de muscu n’a rien à envier aux équipements européens, mais les vestiaires restent modestes et la récupération cryo, limitée à des bidons sciés un brin étroits. « C’est couleur locale » sourit Peter. Comme ces écuelles en bois plus ou moins creuses et épaisses alignées sur une longue table pour « équilibrer » le volume traditionnel d’alimentation, le plus grand défi des Iliens.    

Quant aux matchs, ils sont prévus au North Harbour Stadium, à Whangarei et au Mount Smart. Pas facile pour constituer une base de fans. « Peu de monde vient au stade. Une des raisons, c’est l’identité. Entre les joueurs, tout se passe bien. Mais les Tongiens pensent que l’équipe est plus samoane… et l’inverse est vraie ! On n’arrive pas à regrouper tout le monde. Ce qui va changer, ce sont les résultats ». Une attente qui dépasse le domaine du sport.


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