Notre série « Oh Captain, my Captain » (4/6)
Soldat exemplaire aux côtés de Richie Mc Caw, capitaine courage ensuite de la Black army, décathlonien puissant, Kieran Read a porté bien plus qu’un maillot ou conduit des batailles épiques. Le gamin costaud de Papakura, au sud d’Auckland, littéralement la « terre rouge » sacrée et sanglante pour les maoris, a les traits et la carrure d’un gladiateur. Héritier d’un joueur de légende, héritier d’une équipe double champion du monde, il l’est aussi d’un peuple recomposé et d’une certaine idée du rugby et de ses valeurs.
Interview réalisée par Nicolas Barbaroux, Gérard Rancurel et Jean-Michel Marcoul, avec la complicité de Magali, la sœur de Nicolas installée en Nouvelle-Zélande, son mari Adam et la petite Anna.
De l’ombre à la lumière. Quand le mythique Richie McCaw tire sa révérence en 2015, tous les regards se tournent vers l’homme au bandeau et au regard perçant qui le suit depuis presque toujours. Kieran Read s’est vu propulsé en première ligne à 30 ans, extirpé du fond de la mêlée noire pour passer sous le feu des projecteurs. Il ne s’est pas échappé, ce n’est pas le genre de la maison, aussi prompt au combat qu’à l’aise ballon en main. « Surpris » mais avant tout « honoré » d’intégrer le cercle prisé des capitaines, il a guidé ses troupes vers un troisième titre consécutif qui s’est malheureusement dérobé, la faute à ces diables d’Anglais, terribles empêcheurs de tourner en rond. Mais Kieran Read n’est pas amer.
Pour cette interview, il a brisé la glace le premier. Comme il le faisait dans les défenses adverses. Quelques jours après notre arrivée au pays du long nuage blanc, Kieran (39 ans aujourd’hui) a répondu avec enthousiasme à l’appel de l’équipe de Terra Rugby. Son CV (128 sélections, dont 52 capitanats) est éloquent, mais il ne définit pas cet homme de valeurs et de convictions, lui qui s’identifie volontiers au personnage de fiction Jack Reacher « parce qu’il a des valeurs, des normes et qu’il s’y tient ». Un brin guerrier comme référence (cinématographique) mais ça, pour le coup, c’est bien le style de la maison.
Kieran, nous l’avons retrouvé sur deux événements caritatifs organisés à quelques jours d’intervalle. La première fois, c’était au « Black Clash» à Tauranga, dans l’île du Nord (lire notre carnet de route sur Terra), où il a montré qu’il n’avait rien perdu de son aisance au cricket (il aurait même pu postuler chez les Blacks Caps selon son ancien partenaire, Todd MacDonald). La seconde, pour cette interview, c’était radicalement à l’opposé, à Invercargill, cette terre hostile située au sud de l’île du sud, dernière escale avant les tourments de l’Antarctique. C’est là que se déroulait le « Pack the park » qui oppose d’anciennes légendes des All Blacks pour financer un hôpital spécialisé dans la lutte contre le cancer.
Le lieu de l’interview avait fait sourire Gary Whetton, le colosse de Tutukaka (lire son interview sur le site), habitué à la douceur d’un autre Pacifique, moins rude, plus proche de la carte postale.
Le jour J de l’entretien, on attend Kieran avec un brin d’impatience dans le hall de l’hôtel Ascot, c’est Masoe qui se pointe. Chris Masoe, l’ancien joueur de Castres, du Racing et de Toulon. 20 sélections chez les Blacks et un tampon mémorable de Chabal qui a fait la réputation du Caveman français. Le Samoan fait partie de l’escouade des anciens internationaux All Blacks dépêchés au Pack the park avec Piri Weepu, Corey Flynn ou encore Mils Muliana. On parle enfin en français, il s’intéresse à notre projet. « Fantastique », glisse-t-il.
A l’heure dite, Kieran Read s’avance, tout en décontraction. Jamais son sourire ne s’effacera. Il évoque ses débuts, ses relations avec Richie McCaw, ses engagements. S’il n’élude pas son palmarès, qui pourrait faire pâlir de jalousie certaines légendes de son sport, l’homme parle surtout d’amitié, de lien, de plaisir. A l’entendre, on en oublierait presque qu’il constituait un maillon fondamental de la troisième ligne la plus efficace et la plus redoutée au monde avec Richie McCaw et Jerome Kaino, fer de lance des deux titres mondiaux des Blacks en 2011 et 2015.
Kieran Read l’admet, il n’a jamais forcément été un leader-né. Il a « grandi » dans l’ombre de la légende McCaw. Alors, comment être digne de récupérer le flambeau de celui qui figure tout en haut au panthéon des All Blacks ? Tout simplement en restant lui-même. Calme, sobre, généreux mais aussi ardent. Un bonheur pour une rencontre au bout du monde.
« Ce que j’aime ici, en Nouvelle-Zélande, c’est que le rugby crée surtout du lien »
Kieran Read
Digest
Né le 26 octobre 1985 à Papakura. Taille 1,93 m. Poids : 111 kg. Poste troisième ligne centre.
Sélections 128 dont 127 tests (52 fois capitaine). Premier match international le 8 novembre 2008 contre l’Ecosse, à Edimbourg. Clubs Canterbury, Toyota Verblitz (Japon), Counties Manukau (celle d’Andy Dalton, lire son interview sur le site). Province Canterbury Crusaders. Surnom Reado. All Black n°1083.
Quand avez-vous débuté dans le rugby et dans quelles conditions ?
J’ai fait mes premiers pas dans ce sport quand j’avais 4 ans, dans une province au sud d’Auckland. J’évoluais dans le club de Drury. J’ai commencé à jouer parce que mon frère, qui a deux ans de plus que moi, avait rejoint l’école de rugby. Du coup, je n’arrêtais de dire « allez maman, laisse-moi jouer aussi » (rires). Je l’ai eu à l’usure.
Le cricket est une passion également pour vous, nous l’avons vu lors du Black Clash. Quelles sont les raisons qui vous ont fait pencher pour le rugby ?
J’ai aussi fait de l’athlétisme et d’autres sports à l’école. J’ai participé par exemple à quelques matchs de football australien au lycée. A l’époque, j’étais davantage un joueur de cricket que de rugby mais je pratiquais les deux. Je ne suis pas allé dans une grande école de rugby. Le Russel College compte 200 élèves mais n’a qu’une seule section à XV… Le moment crucial pour moi, ça a été quand j’ai terminé le lycée. J’avais 18 ans et j’ai intégré l’équipe de Nouvelle-Zélande des moins de 19 ans. J’ai choisi d’aller là. L’année d’après, au cricket, je me suis explosé le genou et j’ai dû arrêter. Finalement, c’était plutôt une bonne chose parce qu’au même moment, un membre de la province des Canterbury Crusaders m’a invité à rejoindre leur académie. Une telle proposition ne se refuse pas. C’était une décision très importante. Les Crusaders, c’est un peu la Mecque du rugby (rires).
Quelle est l’importance du rugby pour un jeune Néo-Zélandais ?
Pour moi, bien plus que le jeu, c’est la communauté. J’ai grandi dans une région où règne la diversité culturelle. Le rugby connectait tout le monde, quelle que soit l’origine sociale ou ethnique… On pouvait tous jouer, se lancer le ballon après l’école ou dans un club. C’était génial ! Et puis, cerise sur le gâteau, les All Blacks avaient beaucoup de succès, c’étaient nos héros. Mon père me parlait des joueurs comme on vénère des légendes. Ian Kirkpatrick et tous les autres, c’étaient ses héros. S’asseoir et les regarder jouer, regarder le Haka, c’était incroyable ! Pour moi, le rugby apporte du lien. C’est ce que j’aime ici en Nouvelle-Zélande.
Est-ce que vous vous souvenez de votre premier match ?
Pas vraiment… Mais mon père m’a raconté que j’avais marqué un essai… dans la ligne de touche ! Au lieu d’aller dans l’en-but, j’ai couru de l’autre côté. C’était ma première fois, je ne savais pas de quel côté aller. J’avais 7 ou 8 ans quand j’ai commencé à me rappeler correctement des matchs, au club de Drury. C’était plutôt une histoire familiale dans ce club. Tu joues ton match et puis après, tu regardes les adultes, tu ramasses les balles pour le club et pour la grosse équipe plus tard dans l’après-midi. Puis tu vas au bar pour aider les parents, manger un morceau et voilà ! En tant que gamin, je me suis énormément amusé là-bas.
Qu’avez-vous ressenti lors de l’annonce de votre première sélection avec les All Blacks ?
C’était en 2008 et je jouais la finale du championnat NPC (le championnat néo-zélandais, ndlr) la veille. Le samedi, on gagne à Wellington et la sélection allait être annoncée le lendemain matin. On devait s’envoler pour une tournée le même jour. On a remporté la finale alors que j’étais capitaine des Crusaders. Richie McCaw, qui était capitaine des All blacks à ce moment-là déjà et qui jouait pour Canterbury, est venu me taper sur l’épaule alors que l’on célébrait la victoire. Il m’a juste dit : « N’y va pas trop fort ce soir » (rires). C’était un indice pour me signifier que j’allais être retenu en sélection. Je me rappelle parfaitement être dans le bus avec mes coéquipiers des Crusaders en route vers l’aéroport de Wellington, juste avant de prendre l’avion de retour à Christchurch. C’est à ce moment-là que j’ai appris que j’étais appelé chez les All Blacks. A l’aéroport, tout à coup, je recevais des messages de tout le monde, des appels de mes parents… C’était un moment assez fou. Et c’était le jour de mon 23ème anniversaire en plus ! Un cadeau magnifique et de supers souvenirs.
« J’ai beaucoup appris de Richie McCaw, sur le niveau d’engagement notamment »
Devenir un All Black a-t-il toujours été un objectif ?
Jeune, c’était un rêve, pas vraiment un but. Je rêvais juste de jouer pour les All Blacks, j’imaginais que ce serait un truc génial. D’où je viens, je ne pensais que ce serait possible de rentrer dans cette équipe. Mais je les adorais ! Et puis tu progresses et soudain, tu joues en Super Rugby et tu te dis « wouah ». Tu réalises que peut-être, tu peux arriver jusque chez les All Blacks.
Pourquoi ce maillot noir est-il si spécial ?
L’histoire et la tradition sont très importantes chez nous. Tu dois regarder vers tes ancêtres pour t’en rendre compte. Je pense aux « Invicibles », aux « Originals » qui ont fait la première tournée en Europe en 1905-1906. Ce sont les premiers qui ont été surnommés les All Blacks. Les Invincibles, c’était en 1924, il y a tout juste un siècle cette année. On avait aussi de grandes équipes dans les années 50 et 60. Voilà le genre de choses que tu ne connais pas trop gamin mais qui sont fondamentales après. Quand tu as la chance de porter ce maillot, tu veux apporter ta part à cet héritage qui est immense. Tu fais de ton mieux pour être sûr que tu peux apporter quelque chose et laisser ce maillot avec une image encore plus forte que celle qu’il avait avant que tu ne le portes. Pour tous les Néo-Zélandais, c’est un sentiment incroyable de partager cette histoire. Tu ressens l’héritage, les attentes.
Lorsque vous avez succédé à Richie McCaw comme capitaine des All Blacks, lui qui a été le plus capé, avez-vous ressenti un poids supplémentaire de responsabilités ?
Forcément ! A ce moment-là, j’avais été capitaine de la Nouvelle-Zélande une dizaine de fois déjà, avant d’être officiellement désigné. Mais une fois que tu endosses ce rôle, c’est un autre niveau d’engagement, un autre niveau de responsabilité. J’étais certainement à un moment de ma carrière où j’étais prêt pour ce challenge. Je me suis vraiment régalé et j’ai beaucoup appris de Richie ainsi que d’autres leaders. Je me suis dit : « ok, là, je dois être moi-même et suivre mes propos aspirations, ne pas essayer d’être quelqu’un d’autre. » C’était ma manière d’appréhender les choses.
Est-ce que votre premier discours a été un moment fort ?
C’était en 2012, en Italie, à Rome. Oui, c’était assez spécial. Je remplaçais Richie pour ce match. Quand tu commences en sélection, tout le monde t’envoie des messages du genre « bonne chance », mais quand tu joues depuis plus longtemps, tu en reçois de moins en moins. Mais pour mon premier match en tant que capitaine, j’ai eu de nouveau de nombreux appels. Et soudain, j’étais aussi nerveux qu’à mes débuts. Je pensais de nouveau à l’histoire des capitaines des All Blacks, tous les noms que l’on a déjà évoqués, tout l’héritage. C’est assez spécial de rejoindre ce groupe exclusif.
Et qu’avez-vous dit à votre équipe ?
J’avais déjà bien compris que le plus important n’est pas le discours auprès de l’équipe avant le match, mais le travail que tu fais durant la semaine qui précède. Tu dois faire attention à ce que tes gars évoluent dans de bonnes conditions. L’essentiel, c’est l’état d’esprit du groupe et tu y participes, ce n’est pas une question de discours.
Richie McCaw vous a-t-il donné des conseils par rapport au rôle de capitaine ?
On a été très proches pendant quelques années avec les Crusaders et les All blacks. On s’est entraîné ensemble dans des positions similaires et on parlait tout le temps de rugby. On a beaucoup appris l’un de l’autre. On a échangé longtemps et on s’est conseillé mutuellement. J’ai toujours été un meneur, même quand je n’étais pas capitaine. J’aidais Richie dans son rôle en restant en retrait mais en l’allégeant de certaines de ses responsabilités. Il avait la vue d’ensemble du jeu et j’étais plutôt exigeant auprès des joueurs.
« Lors de la Coupe du monde 2011, tout le pays était recouvert de noir »
Quelles sont vos relations avec Richie McCaw aujourd’hui ?
Elles sont intéressantes. On est très proches dans le rugby, très connectés, nous avons la même philosophie de jeu. Nous avons passé les dix dernières années ensemble et on a travaillé dur mais on a aussi des vies différentes. On n’a pas grandi au même endroit et nous n’avons pas le même âge. On se voit parfois mais on n’est pas super proche en dehors du terrain. On se respecte énormément et on a de bonnes relations, mais on est deux personnalités différentes avec des cercles différents aussi.
Vous avez remporté deux coupes du monde rugby, en 2011 et 2015. Laquelle a votre préférence ?
Les deux sont bien entendu très importantes, mais elles sont différentes. En 2011, c’était ma première coupe du monde, en plus en Nouvelle-Zélande, à la maison, c’était incroyable et extraordinaire de sentir le soutien de toute la nation. En plus, les All Blacks n’avaient plus gagné la compétition depuis 24 ans. La pression était énorme, on était les favoris, l’équipe n°1. On a bien géré cette attente car nos leaders et les entraîneurs ont été incroyables pour mettre cette pression de côté. Donc cette coupe du monde en 2011 était assez spéciale en termes de préparation. On a validé tout le travail que les All Blacks avaient réalisé depuis quelques années pour devenir la meilleure équipe dans le monde mais sans gagner une coupe du monde. Il fallait qu’on le fasse.
Cette pression populaire vous a-t-elle paralysé à certains moments ?
Non, je crois qu’on est arrivé à un stade où on a vraiment su s’en servir. Ce qu’on a appris des coupes du monde précédentes, c’est que la pression allait devenir très forte au fil des semaines. Il fallait qu’on en parle, la rendre réelle et ensuite trouver le moyen de la mettre de côté pour se concentrer sur la mission que nous devions accomplir. On a fait beaucoup de préparation mentale, de travail sur nous, apprendre à rester dans le moment présent notamment. Il s’agissait de faire en sorte que si les choses ne se passaient pas comme prévu, on pouvait rebondir, être calme et clair dans nos décisions. Cette préparation nous a beaucoup aidés à tous les niveaux. Et puis, le public néo-zélandais nous soutenait totalement. Dans tout le pays, tout était recouvert en noir, les gens nous attendaient devant l’hôtel, une chose qui n’arrive pas vraiment en Nouvelle-Zélande d’habitude. Plutôt que d’avoir la pression, on l’a utilisée en se disant : « regarde, tout le monde nous soutient, donc profitons-en ».
« Jouer au rugby, c’est génial, mais construire des amitiés pour la vie, c’est ce dont je me rappellerai toujours »
Et quatre ans après, vous êtes de nouveau champions du monde…
Conserver un titre, c’était une première ! On est passé de : « gagner en 2011 et devenir les champions » à « les champions du monde sont censés être capables de continuer à gagner ». Entre 2011 et 2015, je crois que l’on a perdu quatre matchs. C’était fou ! On avait la meilleure équipe de All Blacks qui n’ait jamais existé peut-être. Tous ces gars expérimentés, une équipe superbe. On avait confiance en notre capacité à jouer mais cela ne garantit pas de gagner. C’était génial de faire une coupe du monde loin de la maison et d’avoir la possibilité de s’exprimer d’une autre manière. Le sentiment était différent.
Vous avez multiplié les records et enchaîné les sélections durant votre carrière. Mais quel est votre meilleur souvenir ?
C’est de passer du temps avec mes potes, aller sur des tournois, partir pendant des semaines avec tes meilleurs amis, s’unir, rigoler, découvrir des villes autour du monde. Ce sont les souvenirs que je garde. Jouer au rugby, c’est génial, mais construire de superbes connexions, des amitiés pour la vie, c’est ce dont je me rappellerais lorsque je repenserais à ma carrière. Et c’est certainement ce qui me manque le plus maintenant, le lien entre les uns et les autres. On appelait ça le travail mais c’était surtout des moments précieux.
Quelles sont les raisons qui font qu’un All Black entre dans la légende ?
Tous les joueurs des All Blacks veulent rendre justice au maillot au départ. Quand tu arrives dans l’équipe pour la première fois, il y a tellement d’excitation, tu veux juste jouer. Tu veux déjà disputer un match, juste un match, et dire « Je suis un All Black ». Et puis tu as ces dix tests, tu les ajoutes au cocktail et puis tu commences à changer. Tu te dis : « ok, je suis là maintenant ». Tu vois à quoi tout cela ressemble et tu te demandes comment être ce All Black à long terme qui a du succès. Je me suis rendu compte que les légendes que je prends en exemple étaient bons à chaque match. Ils étaient performants peu importe les conditions, partout dans le monde, même si le match n’avait pas d’enjeu. Ils y allaient et étaient très forts. Il existe des exemples assez évidents avec Richie (McCaw), Dan Carter, Fitzy (Sean Fitzpatrick, ndlr) et de nombreux autres. Pour moi, ce sont eux qui ont laissé un gros héritage, qui étaient performants chaque semaine.
Vers la fin de votre carrière, pourquoi avez-vous voulu tenter une expérience au Japon ?
C’était d’abord en raison de ma forme physique. J’avais toujours envie de jouer même après avoir terminé ma carrière avec les All Blacks. J’avais aussi envie de vivre une expérience à l’étranger pour ma famille. Je n’étais pas le premier, d’autres All Blacks ont joué là-bas. La compétition n’était pas aussi dure, donc je pouvais faire la transition de manière un peu plus facile. Cela devait me donner une belle opportunité avec ma famille de passer un moment à l’étranger. Mais j’étais là-bas pendant le Covid donc ça n’a pas trop marché (rires).
Comprenez-vous le choix de joueurs plus jeunes d’évoluer au Japon ?
C’est un très bon marché pour les Néo-zélandais parce que c’est proche, c’est juste un vol, c’est le même fuseau horaire. Une vraie question doit se poser ici, en tant que joueur de rugby en Nouvelle-Zélande. Tu peux gagner plus d’argent à l’étranger tout simplement. En Nouvelle-Zélande, tu ne te feras pas autant d’argent qu’au Japon ou qu’en France. Mais si tu veux vraiment te donner la possibilité de faire partie des All Blacks ou d’avoir une super carrière, tu dois rester ici. Je crois que les joueurs partent un peu trop tôt à l’étranger de nos jours sans se donner la chance d’essayer ici. Mais je ne reproche rien à personne parce que chacun vit des circonstances différentes. D’un coup, tu peux doubler ton salaire en partant. Dans n’importe quel autre milieu, tu ne te poserais pas la question.
« La santé mentale est devenue un paramètre incontournable du rugby moderne »
Quelle est l’importance de prendre soin de sa santé mentale dans le rugby, un domaine où vous êtes très engagés ?
Le sujet est crucial dans notre société maintenant. Les gens commencent à réaliser qu’en effet, si ton équipe est dans une meilleure forme mentale, elle sera plus performante. Et sur le terrain de rugby, si nos joueurs se sentent sûrs d’eux-mêmes, qu’ils ont de bonnes relations à la maison, qu’ils ont confiance en leur capacité, ils joueront bien. C’est partout pareil, dans tout ce que tu entreprends. C’est important de comprendre ce dont tu as besoin en tant qu’individu. Et personne ne se ressemble. La même chose pourrait arriver à dix personnes différentes et ils réagiront tous de dix façons différentes. Trouver ce qui est bon pour soi, c’est ce qu’il y a de mieux à faire. Il existe des clés pour cela, autour de l’exercice, trouver quelque chose qui te fasse bouger, te mettre en bonne forme physique. Le sommeil, bien manger, toutes ces petites choses peuvent aider. La santé mentale est vraiment une part importante du rugby autant que dans la société.
Pensez-vous que davantage de joueurs vont faire le choix de couper avec le rugby plus ou moins longtemps, comme Richie McCaw l’a fait et Grégory Alldritt en France ?
Je pense. Quand tu regardes Richie, il a été capitaine des All Blacks jeune, il a subi quelques blessures et autres problèmes, ça se comprend de prendre du repos. Je peux le ressentir. Grégory (Alldritt) est le capitaine de la France, n’est-ce pas ? Ce genre de responsabilités peut te peser. Parfois, tu te retrouves coincé dans ce moment où tu t’investis complètement dans ce que tu fais et ensuite, c’est dur d’en sortir. L’équilibre est important et tu dois le trouver à ta manière. Je suis devenu papa assez tôt donc c’était bon pour moi. Je rentrais à la maison pour être avec ma famille, ce qui me sortais du rugby. C’est assez dur pour les joueurs actuels, cela ne l’était pas autant quand je jouais. Ils subissent la pression extérieure des réseaux sociaux et des médias. Cela peut vraiment peser, on n’est pas forcément préparé à ça. Si tu ingurgites toutes les bonnes choses qui viennent de ton téléphone et des réseaux, tu dois faire la même chose avec ce qui est négatif. Il faut faire très attention à ça, même si cela fait partie de la carrière d’un joueur aujourd’hui.
Comment harmoniser la santé mentale et la gestion des réseaux sociaux ?
Je me suis toujours fixé comme règle que les médias ne sont pas si importants pour moi, donc je ne lisais jamais les journaux et je n’écoutais jamais la radio quand je jouais. Et pour les réseaux sociaux, c’était la même chose. Oui, je publie de temps en temps, pas beaucoup, mais je n’ai pas besoin de lire tous les commentaires qui suivent. Je publie et je partage pour que tout le monde puisse voir qui je suis mais lire les commentaires ne vont pas m’aider à jouer et ne vont pas m’aider en tant que personne. Honnêtement, il y a certainement 99% des commentaires qui sont positifs et 1% qui pourrait être négatif. Mais le 1% est ce qui t’affectera. Mon sentiment, c’est pourquoi s’en préoccuper, n’est-ce pas ?
Quelle est votre vie depuis la fin de votre carrière ?
J’ai créé une entreprise de coaching sur la performance et le leadership, c’est mon boulot principal. J’aide les entreprises à améliorer leurs performances pour diriger leurs équipes. Je mets en pratique les leçons que j’ai apprises à travers le rugby, en étant capitaine des Blacks mais aussi avec mes entraîneurs. C’est un travail qui me plaît, c’est toujours différent. Je passe beaucoup de temps avec ma famille aussi, j’en profite.
« La France sait se transcender contre nous, l’émotion les sublime »
Vous avez affronté plusieurs fois la France. En quoi ces matchs sont si particuliers ?
Le jeu français est spécial. Au regard de l’histoire de nos deux nations, où on s’est battus à vos côtés dans les guerres mondiales, il existe des liens très forts. Dave Gallaher est mort en France, c’était le capitaine des « Originals ». On se rappelle cet engagement pendant l’ANZAC days en Nouvelle-Zélande, mais aussi sur le terrain de rugby. La France est plutôt un bon rival, comme en 1994, quand vous êtes venus ici et que vous avez battus les All Blacks. Je me souviens de nos échecs lors de la Coupe du monde de 1999 et de 2007. Je me rappelle avoir regardé tous ces matchs. Quand je suis arrivé et que je jouais contre les Bleus, je savais que l’on allait avoir un gros match. Affronter la France, c’est génial, il y a beaucoup de monde à chaque fois dans les stades et devant la télé, j’adore cette rivalité.
Gary Whetton nous disait que c’est en affrontant la France que l’on sait ce que l’on vaut…
Il a raison. Oui, c’est une performance, c’est une équipe dure et qui se transcende contre nous. Il existe beaucoup d’enjeux pour eux. Ils sont toujours gonflés à bloc ! Je me suis toujours rendu compte qu’avec la France, si tu les gardes dans le jeu, l’émotion les sublime. Alors que si tu commences bien, tu peux les décourager. Ils ont peut-être un peu changé maintenant mais c’est certainement une équipe qui joue beaucoup sur le caractère.
Du tac au tac
Le stade qui l’a le plus impressionné. Le Millenium de Cardiff. L’atmosphère quand on arrive en bus pour le match, derrière la police à cheval, c’est impressionnant. Et puis tous les pubs ! Tout le monde sort du bar et t’applaudit, c’est blindé. Le stade peut contenir 90 000 personnes, avec le toit couvert, ça chante toujours bien, c’est fort. J’adore jouer là-bas.
Le plus grand joueur néo-zélandais. Pour moi, c’est Richie, pour sa longévité, son niveau. Il a été capitaine sur 111 tests. C’est le numéro 1.
Le plus grand joueur étranger. En France ? Philippe Sella et Emile Ntamack. David Pocock pour l’Australie, Schalk Burger pour les Sud-Africains et Johnny Wilkinson pour l’Angleterre. Il y a eu de très très grands joueurs, mais jamais aussi forts qu’un All Black (rires).