Sa photo aurait dû faire le tour du monde. Le 20 juin 1987, Andy Dalton devait être le premier capitaine à soulever le Trophée Webb Ellis à l’Eden Park d’Auckland, après la victoire des All Blacks contre le XV de France (29-9). Un privilège cédé à David Kirk, en raison d’une déchirure aux ischios-jambiers juste avant le tournoi. Trente-six ans après, la cicatrice n’est pas refermée comme l’ancien talonneur des Néo-Zélandais (35 sélections entre 1977 et 1987), aujourd’hui âgé de 72 ans, l’a confié à l’équipe de Terra Rugby, dans sa villa située sur les hauteurs de Waipu, à deux heures de route au nord d’Auckland. « Lorsque je me suis blessé, j’étais désespéré ! Mais je reste très fier d’avoir été un des capitaines des champions du monde. Je suis resté avec l’équipe durant toute la campagne, David Kirk était le capitaine sur le terrain et moi, en dehors. C’était quand même frustrant ».
Sur les photos où il brandit la coupe avec David Kirk (notre vidéo), son visage reste fermé. « Après le match, je suis resté dans les vestiaires, j’avais terminé mon travail. Brian Lochore (l’entraîneur des All Blacks, ndlr) est venu me chercher pour célébrer le titre avec tout le monde. C’est vrai, je n’ai pas l’air très heureux ». Ce 20 juin 1987 aurait dû être l’apothéose dans la carrière de ce leader né, pour qui l’héritage des All Blacks est une force.
« J’ai grandi avec le rêve de devenir un All Black »
Pourquoi avez-vous choisi de jouer au rugby ?
Mon père a porté les couleurs des All Blacks en 1947 et en 1949. J’ai été élevé avec cet héritage même si je ne l’ai jamais vu jouer. Il a arrêté sa carrière en 1949 et je suis né en 1951. Ici, la culture rugby est très forte. J’ai grandi avec le rêve de devenir un All Black.
Où avez-vous débuté ?
Je suis né à Dunedin mais je suis monté à Auckland à l’âge de 9 ans. J’ai été au Selwyn College. Pas une très bonne école de rugby, mais qui a produit un All Black (rires). J’ai vécu beaucoup de déceptions avant de devenir international. On ne me jugeait pas assez bon… Mais à force de persévérance et de travail, j’ai eu des opportunités et je les ai saisies.
Pour un jeune Néo-zélandais, que représente le rugby ?
C’est le sport N.1. On s’amusait beaucoup tous les samedis et les dimanches, c’est une discipline où règne la camaraderie. J’ai toujours aimé cet état d’esprit.
Quel souvenir conservez-vous de votre premier match ?
C’était à Whangarei, contre Northland. Je jouais pour les Counties Manukau. Face à nous, il y avait les frères Going, Sid et Kenneth, deux All Blacks. C’était une très bonne équipe.
Et votre première sélection ?
C’était contre vous, en France (rires), au Parc des princes, en 1977. On évoluait contre des joueurs durs, qui voulaient tout faire pour nous battre ! La première ligne française, avec Paco, Paparemborde et Cholley, était très solide, très rugueuse. Donc on essayait de garder le ballon en vie, on ne pouvait pas être dans l’affrontement. En 1979, j’ai joué le deuxième test contre les Français (le 14 juillet, ndlr). On avait perdu… Les Français nous avaient perturbés en déplaçant le jeu. Je me souviens du sauvetage de Costes ! Un bon souvenir pour vous, moins pour nous.
Qu’avez-vous ressenti lorsque vous avez su que vous alliez porter le maillot des All Blacks ?
J’étais très excité… (il fait une pause). Oui, vraiment. C’est une énorme responsabilité que tu portes sur les épaules quand tu joues pour la Nouvelle-Zélande. Il faut être performant car la pression est très forte. Nous sommes un petit pays, les attentes sont énormes autour des All Blacks. Ici, les gens veulent nous voir gagner tous les matchs.
En 1981, vous devenez une première fois capitaine des All Blacks avant de l’être à temps plein après la retraite de Graham Mourie en 1983…
Je n’ai jamais cherché à devenir capitaine et je pense que cela ne m’a pas changé. Être All Black, c’est déjà beaucoup de pression, je n’en avais pas davantage. Il faut surtout respecter ses coéquipiers, avoir leur confiance et de l’empathie. La communication est aussi très importante, surtout avec un groupe de 30 joueurs. Il faut tirer le meilleur de chacun. Ce n’est pas très différent du milieu de l’entreprise.
Quel est le match qui a le plus compté dans votre carrière ?
Le troisième test contre les Springboks, en 1981. La pression populaire était énorme, les manifestations nombreuses. Certains membres de la famille des joueurs défilaient même dans la rue pour dénoncer la venue des Boks (la fédération néo-zélandaise avait invité les Sud-Africains alors que le pays était sous régime d’Apartheid, ndlr). Après avoir gagné le premier test et perdu le deuxième, la victoire a été un soulagement. Un autre moment fort a été le grand chelem de 1978. On avait battu toutes les équipes lors de notre tournée en Europe, cela n’avait jamais été fait.
La légende raconte qu’un avion a versé de la farine sur le terrain en 1981, en signe de contestation…
Oui, des bombes de farine ont été lâchées et l’une d’entre elles a touché notre pilier, Gary Knight. L’avion passait au niveau des poteaux, c’était effrayant, fou !
Pour vous, existe-t-il des similitudes entre le rugby néo-zélandais et le rugby français ?
Nous avons toujours été admiratifs du jeu français. Ils ont un peu perdu leur identité pendant une période mais leur style est revenu ces dernières années. Ils bénéficient de l’influence des Îliens. Nos styles de jeu se rejoignent mais les Français doivent rester eux-mêmes.
Quel a été votre parcours après la fin de votre carrière ?
J’avais une ferme, mais c’était très dur à la fin des années 90. J’ai alors lancé une entreprise autour des déchets puis j’en ai dirigé une sur les médias et la production. Je m’occupais de l’affichage dans les stades. Sur le plan sportif, j’ai entraîné les Counties, mais avec peu de succès. J’avais des attentes trop élevées. Cette expérience m’a beaucoup appris avant de manager les Auckland Blues puis d’en devenir un dirigeant. Je suis dans l’immobilier depuis sept ans.
Par N. Barbaroux et J.M. Marcoul / Photos G. Rancurel
Tac au tac
Le stade le plus impressionnant ?
Le Parc des princes (rires). C’était mon premier match ! Evidemment, Twickenham est très spécial, avec tellement de fans et de chants.
Le plus grand joueur néo-zélandais ?
Colin Meads et Richie McCaw pour sa longévité. Incroyable de voir un joueur disputer autant de matchs. Jonah Lomu et Michael Jones étaient des joueurs hors-normes eux aussi.
Le meilleur joueur étranger ?
Philippe Sella était un gentleman du jeu et un grand compétiteur. Il était très puissant et très doué techniquement. Jean-Pierre Rives fait partie de ceux qui sont tout en haut.
La finale du Mondial 2023 (AFS 13 – NZ 12) ?
J’étais très déçu que la France ne soit pas en finale. Je pensais à un match entre les Springboks et les Bleus. La France était la meilleure équipe du tournoi. La finale n’était pas un super match. L’arbitre vidéo a trop influencé le jeu. Ce n’est pas possible qu’une personne qui n’est pas sur le terrain prenne des décisions.
La coupe du monde 2027 ?
Cette dernière coupe du monde n’a pas favorisé le jeu. Le N.9 peut amener le ballon loin pour se dégager avec quatre joueurs pour se protéger. C’est fou ! Les joueurs adverses peuvent prendre le thé en attendant ! En 2027, j’espère que le jeu va redevenir un spectacle, comme le fait le XIII.
DIGEST
Né le 16 novembre 1951 à Dunedin (Nouvelle-Zélande).
Taille : 1,78 m. Poids : 93 kg.
Poste : talonneur.
Sélections : 58 dont 35 tests (17 comme capitaine).
Essais : 3.
Premier match : 19 novembre 1977 contre la France à Paris.
Dernière sélection : 29 juin 1985 contre l’Australie à Auckland.
Province : Counties Manukau.
« Mon père Raymond avait le numéro 470 pour ses vingt sélections. Moi, je suis le All Black N.777. Mais je ne le savais pas à l’époque, car la fédération n’a attribué les cartes et les numéros qu’au début des années 2000 ». Il y a actuellement 1213 All Blacks référencés.