Carnet de route 1 – La tentation d’une île

JOUR 1, dimanche 7 septembre 11h. Ça part de là. De ce quai de tram gris et frisquet pour rallier l’aérogare 2 de Nice depuis la promenade des Anglais. La veille, le Stade Toulousain a terrassé Lyon 45-0 en Top 14. Heureux présage, même si on a regardé ça à la télé de l’hôtel de […]
Panorama New Zealand

Jan 18, 2024

11h. Ça part de là. De ce quai de tram gris et frisquet pour rallier l’aérogare 2 de Nice depuis la promenade des Anglais. La veille, le Stade Toulousain a terrassé Lyon 45-0 en Top 14. Heureux présage, même si on a regardé ça à la télé de l’hôtel de façon plus distraite ou moins habité en tout cas qu’à l’ordinaire. A peine une légère digression sur l’arbitrage, juste la force de l’habitude. L’essai majuscule d’Antoine Dupont à la fin du match, que l’on aurait commenté un temps à foison, n’a pas suffi à gommer tout à fait l’appréhension de creux de ventre sur le tour du monde du lendemain. Il parait que c’est beau la Nouvelle-Zélande, mais c’est loin comme le disait l’un de nos anciens présidents. On s’en remet à la fierté catalane, biterroise et marseillaise, en clair à tout ce qu’on peut, pour ne rien montrer. 

17 heures de vol dans l’A380 d’Emirates – Photo Pixabay

Nos nuits ont été courtes. Le début de voyage, silencieux. Le duty free opulent de Nice, sans effet. Le Boeing 777 qui nous amène à Dubaï, première escale, a visiblement des hublots plus solides que son compère 737 accidenté la veille mais on a quand même jeté un coup d’œil au décollage et à la première turbulence. Le vol, au-dessus de l’Iran et de l’Irak, n’aura duré que sept heures, comme une mise en jambe avant la folle diagonale. On y ajoute une nuit sans fin de dix heures dans l’aéroport de Dubaï où Terra a pris la première grande décision depuis sa création : on ne dormira pas. Exit les cabines louées par les marchands de sommeil du coin à 120 euros les 7 heures pour un siège renversé et 2 mètres carrés. Autant dire plus exigu encore que la bannette d’un matelot dans un sous-marin nucléaire. On mise sur l’épuisement pour mieux passer le vol du lendemain. Stratégique mais épique. 

A l’aube, 6h43, la brume plutôt épaisse d’une nuit de somnolence sur les sièges arides de la porte 15 se déchire au son de « Fadjr », la première des cinq prières canoniques de l’Islam diffusée sur les haut-parleurs de l’aéroport et invitant les croyants à rejoindre les salles de prière disséminées dans les différents halls. L’Airbus A 380 qui doit nous conduire à Auckland est déjà sur le tarmac. Il nous arrache à la nuit.

JOUR 2 ou 3 on ne sait déjà plus, il faut jongler avec les 12 heures de décalage qui brouillent nos repères et notre course contre la montre avec le soleil. De Dubaï, on a traversé le Sultanat d’Oman, longé par la pleine mer Mumbaï, l’Inde, le Sri Lanka et l’Indonésie, croisé au large de l’Australie et compris au volume d’heures pourquoi c’était bien un continent. On a laissé Sydney à notre gauche, plongé vers la mer de Tasman, et vu l’Antarctique apparaître sur l’écran de vol. Dans cette traversée de presque trois-quarts de planète, on a pris deux fois et demi tous les repas, pensé mille autres à manger le patch de nicotine et tirer ne serait-ce qu’une bouffée de cigarette dans les toilettes. On a parlé dans la limite de notre anglais avec Mary, notre voisine de siège de son voyage de deuil à Londres et de sa passion pour l’ornithologie. Elle est incollable sur les «kiwis », pas les fruits mais l’espèce endémique d’oiseau, emblème de la Nouvelle Zélande, qui a les deux particularités de ne pas voler et d’avoir un bec long et fin pour se nourrir des richesses du sol. On a vu aussi, à deux reprises, le documentaire sur Dan Carter, le plus charming des All Blacks et trois fois celui sur la coupe du monde 95 en Afrique du sud. On a bougé d’une fesse sur l’autre de longue, malmené la couverture pour lutter contre la clim, changé les bas de contention, épuisé les films, play-list et tous les jeux d’arcade disponibles.  On a dormi peu. Pensé beaucoup. A tout. L’introspection a duré le temps d’une parenthèse finalement. De 17 heures et des poignées de minutes qui ne comptent plus. 

JOUR 3, mardi 9 septembre, celui-là on est sûr. 11h du matin ici. 23 h en France la veille. On a pris le pli. Avec ses 72 mètres de long, 79 d’envergure et 24 de haut, l’A380 d’Emirates descend et glisse comme un albatros, sans bruit, sur la baie d’Auckland. Là, ça y est, on est dans la peau et les yeux non pas de James Cook, l’explorateur et cartographe de sa majesté souvent cité dans l’histoire de la Nouvelle-Zélande, mais du Hollandais flottant Abel Tasman quand il a découvert en 1642 après des mois de mer, surgir de nulle part, les côtes de dentelles noires couvertes d’arbres et de prairies grasses d’une terre inconnue. 

L’arrivée à l’aéroport d’Aucland par le portique des Dieux maoris – Photo Terra Rugby

On l’imagine comme nous découvrir les bras de mer tentaculaires se tailler un chemin paisible dans des lagons turquoises, entre des nappes d’ilôts émeraude tapissés d’arbres millénaires qui pourraient presque toucher les ailes de notre avion. La pensée s’inverse. C’est loin mais qu’est-ce que c’est beau. On se laisse glisser paisible par le grand oiseau blanc hors normes d’Airbus et l’euphorie du voyage accompli. Et là, on y est. Pour de bon. Dans le décor d’un jardin tropical luxuriant et avec ceux qui le peuplent. La première rencontre avec l’autochtone nous plonge dans nos rêves ovales. Une fois passé un immense portique en bois sculpté hérissé de masques de combat toute langue dehors, c’est un cordon de maoris gaillards, de samoans et de tongiens épais, qui nous guident vers la sortie de l’aéroport. 

Ces colosses aux pieds agiles qui colonisent à leur tour finalement, les équipes de rugby du monde entier. On est venu pour ça. Entre autres. 

Juste le temps de poser les bagages à The Antilia (une belle adresse) dans le quartier samoan de Mount Wellington Highway (le 117) avec vue panoramique sur le volcan endormi et quelques minutes pour faire un tour au Countdown du coin (la chaîne de supermarchés 100% nice price), et nous voilà en route sur la promesse que l’on s’était faite il y a bien des années : réserver notre première visite au monument le plus important du pays. On met le cap sur l’Eden Park, le stade mythique des All Blacks, la fierté d’un peuple.

Dieu de la guerre veille sur l’Eden Park

Comme le taxi nous a déposé au Mount Eden et qu’on n’a pas trouvé le bon bus, deux kilomètres à pied nous dérouillent les jambes après le voyage. On dégringole une rue guillerette à l’ombre des arbres, entre des parterres de pelouse savamment tondus et une enfilade de petits cottages blancs au style colonial alignés au cordeau. Notre première rencontre avec un vrai néo-zélandais est édifiante : il s’appelle Tu-matauenga et il n’a pas l’air commode avec ses tatouages guerriers sur la figure et sa stature imposante.  C’est le dieu maori de la guerre taillé dans un bloc de granit noir et juché sur un piédestal à l’entrée sud de l’Eden Park. 

L’Eden Park un joyau dans l’écrin d’Auckland

Selon « Nga Tama a Rangi » (littéralement « les fils du Ciel »), un manuscrit maori écrit en 1849 qui raconte la création du monde, Tu-mata et ses cinq frères auraient séparé le ciel et la terre, collés ensemble au commencement, et rendu la lumière au monde en les détachant. La lumière du monde… ce stade en fait briller une depuis toujours sur la terre du rugby.  On est un peu comme à Lourdes ici sauf que le chemin de croix est aride pour les pèlerins qui y viennent (les All Blacks n’y ont pas perdu depuis 1994 et y ont gagné deux coupes du monde contre la France en 1987 et 2011). En guise de grotte sacrée à soupirs, c’est un écrin de plexiglas qui protège la statue en fonte brute grandeur nature de Dave Gallaher, quatre fois capitaine des Blacks en six sélections entre 1905 et 1906, tombé au champ d’honneur de la première guerre mondiale en octobre 1917 en Belgique. Pas un voyage de la délégation néo-zélandaise en France ne se conçoit sans un haka rituel sur sa tombe. 

Plus loin, une statue de bronze en suspension rend hommage grandeur nature à Michael Jones, le 3ème ligne emblématique des années 80, marquant le premier essai de la Coupe du monde 87. L’homme qui ne jouait jamais le dimanche pour aller à la messe et qui fit, du coup, décaler quelques tests-matchs au samedi…     

En plus de tout cela, l’Eden, c’est un stade à deux visages. Côté pile, au nord, une façade Victorienne très 1900 gardée par des palmiers altiers. Côté sud, les tribunes sont emballées dans une coque de plastique conçue comme un écrin. C’est beau. Et finalement pas si loin…   

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