Tauranga, stade « Bay Oval », Maunganui Mount. Un soir d’été austral. Les stars des All Blacks affrontent les héros des Blacks Caps, l’équipe nationale de cricket dans un match caritatif. Avec plus d’un million de téléspectateurs sur Sky pendant 4 heures, le « Black Clash » est l’événement sportif le plus suivi à la télévision néo-zélandaise. Un genre de Super bowl version kiwi ou de Danse avec les stars en mode y’a qu’à…
Ça nous avait mis la puce à l’oreille et pour tout dire, l’eau à la bouche. Des étoiles dans les yeux surtout. « Je ne peux pas être avec vous l’après-midi car je suis invité à Tauranga pour le « Black Clash », on peut se voir le matin à Rotorua ? », avait lancé dans un souffle mignon d’excuses « Monsieur » Ian Kirkpatrick, le capitaine légendaire des All Blacks, dix ans de fougère au plus fort de la magie noire, héros de notre série « Oh Captain, my Captain » que nous publions chaque semaine sur Terra.
Le « Black Clash » ? Inconnu au bataillon des rendez-vous en terre d’ovalie. Renseignement pris, on y est allé nous-aussi à Tauranga, pour ce qui est en fait, depuis six ans, rien de moins que l’événement sportif le plus suivi en Nouvelle-Zélande : un match caritatif entre les stars du rugby et celles du cricket, au profit des athlètes en difficulté après leur carrière.
Direction le Bay Oval donc, 80 kilomètres, 2 heures, c’est le tarif pour faire la route entre Rotorua, la capitale maorie qui distille une odeur de soufre entêtante, et la capitale économique de la côte nord-ouest qui empile les containers sur son port tentaculaire. La route joue encore à saute-collines. Elle serpente comme partout ici entre des vallées tapissées d’arbres centenaires et de fougères géantes qui peuvent culminer à 15 mètres de haut. On y longe des palissades de cabbages, un arbre endémique aux branches élancées, et de palmiers nikau dont les cascades de feuilles donnent au paysage l’allure excentrique du paradis tropical.
La ville de Tauranga est installée dans la « baie d’abondance », le berceau de la Nouvelle-Zélande, à la fois sanctuaire et site genèse. C’est là que les premiers maoris à la dérive depuis la Polynésie ont accroché leurs pirogues à une pierre, sacrée et vénérée depuis mille ans désormais et dont on retrouve des répliques hautement symboliques, à la manière de notre Petit poucet à nous, dans tous les lieux publics et au-delà.
Des Blacks en abondance
L’entrée dans le stade nous laisse bouche bée. Surtout quand on découvre comme des kiwis béats (l’équivalent de nos « poussins de l’année ») pourquoi la marée humaine qui se presse à l’entrée porte des chaises pliantes sous le bras : les gradins du Bay Oval sont des « restanques » couvertes d’herbe où chacun vient avec son siège et sa glacière, où les réceptifs huppés sont installés directement sur la pelouse de jeu, où ça transpire la kermesse dominicale plutôt que la fête de charité corsetée.
Quant à l’abondance, de All Blacks cette fois, il y en avait ce soir-là aussi au Bay Oval, plein comme un œuf (12 700 places) et à guichets fermés depuis des mois.
Par ordre d’entrée en scène sur le pré : Kerian Read, double champion du monde en 2011 et 2015, Centurion et capitaine exemplaire, dont nous publierons l’interview ces prochaines semaines sur terra rugby ; Colin Slade, l’ex-Palois, buteur hors pair d’une génération dorée ; Will Jordan, 26 ans, gravure de mode, chouchou de ses dames, le meilleur marqueur de la dernière coupe du monde ; Léon « Rangi » Mac Donald, 56 capes, nouvel entraîneur en charge de la ligne d’attaque des All Blacks….
Quelques guests sont venus renforcer l’équipe comme Brian Lara, un héros du cricket, ou encore Ofisa Tonu’u, 130 bombes, originaire des îles Tonga, qui aurait pu inspirer Picasso dans sa quête récréative des canons du cubisme.
Sam Cane et le légendaire Richie McCaw étaient au programme à l’origine mais n’ont pu se déplacer, tout comme Peter Burling, le barreur du bateau néo-zed de l’America’s Cup. En face, en bleu, des stars actuelles et anciennes du cricket, les Blacks Caps, le sport national. Comme on n’a pas pris l’abonnement Panini, on n’en (re)connait pas un.
Que des vedettes en revanche chez les rugbymen. Au propre mais aussi au figuré pour certains. A commencer par Ali Williams. Le seconde ligne dégingandé descend les marches qui mènent à la pelouse en roulant des épaules non pas pour amuser la galerie, ce dont il est pourtant coutumier, mais à cause des traces que ses trois coupes du monde, ses 77 sélections et ses deux titres européens avec le RC Toulon ont laissé sur ses articulations de double mètre. Un phénomène ce Ali.
Quand il était sanctionné à l’entraînement pour « pitreries répétées » ou « blague ayant pu mettre en danger l’intégrité physique de son camarade », on lui faisait conduire la Fiat 500 jaune poussin du club toute la semaine. La tête à la fenêtre du coup. Quand il a laissé une mâchoire en 2007 en test-match sur la tête de Sébastien Chabal, ou inversement, il a organisé un concours de recettes de soupe que les fans pouvaient adresser directement par mail à la fédération néo-zélandaise, laquelle n’était pas au courant bien sûr… Une nature ce Ali. Autant dire que ce soir-là, à Tauranga, on pouvait compter sur lui pour faire le show sur la pelouse du Bay Oval. Ce qu’il a fait.
Dans ces rencontres du 3ème type, le premier que l’on a croisé en cherchant la zone presse au bord de la pelouse du BayOval, c’est un enfant du pays né ici, à Tauranga : Scott Robertson, le nouveau sélectionneur des All Blacks, 26 capes à son propre compteur comme flanker rugueux (1m90, 110 kilos), vainqueur à sept reprises du Super Rugby comme entraîneur des Crusaders avec un record de 98 victoires pour 17 défaites. Légendaire mais cool. Et ça, c’est très néo-zed.
« Hé les gars, qu’est-ce que vous foutez-là ? ». Qu’on ne s’y trompe pas, ce gaillard en bermuda et chemise hawaïenne que l’on vient d’aborder, expert en show breakdance quand son équipe gagne un titre, est surtout connu ici sous son pseudo de « Razor ». Le rasoir. Un troisième ligne « engagé » comme on dit. C’est-à-dire pas ingrat au combat ni à la chicaille pour emprunter un euphémisme. Il nous raconte son passage au club de Perpignan (lire notre article sur le site), ce qu’il aime en France, ses coins secrets. Il s’intéresse à notre voyage, discute un moment. Et repart à son concours impitoyable de selfies avant d’enfiler la tunique rouge de son camp et de clôturer la descente de marches des joueurs.
Ça part de là. L’hymne national est repris à plein poumon. Pas de haka derrière pourtant, juste un « y’a qu’à » pour les pilotes de l’équipe de voltige aérienne de la Royal New Zealand Air Force. Les « Blacks Falcons » déchirent le ciel de Tauranga dans un panache de fumigènes au ras du toit de la tribune, pour taper une étoile en formation serrée et claquer un clin d’œil osé dans un battement d’ailes coordonné.
Le 2ème record d’audience derrière
la cérémonie de couronnement du Roi Charles III
Le match peut démarrer. Il ne faut que quelques minutes à Ruben Love pour faire le show. Le jeune rugbyman prodige des Hurricanes, ancien batteur de la sélection nationale des moins de 19 ans au cricket aussi, tente un plongeon spectaculaire sur la réception d’une balle et fait se lever tout le stade comme un seul homme. Nous avec.
Ce sera notre seul moment d’émotion. On avait potassé les règles du cricket et deux-trois tutos quelques heures avant mais rien n’y fait. Les Britanniques ont toujours pris un malin plaisir à inventer des jeux si complexes qu’ils sont les seuls à pouvoir les pratiquer. C’est comme si on invitait, nous, un estivant bien blanc à jouer aux quilles avec une cestapunta dans une main et un béret enfoncé sur les yeux comme cela a pu arriver certaines fins de soirée délicates dans les campings du pays basque ou d’ailleurs. Ils feraient moins les malins les British. On a pourtant compris au final, qu’au bout de la nuit, les All Blacks ont perdu. 4 à 2, c’est désormais le score des six premières confrontations.
Plus d’un million de téléspectateurs ont suivi le programme télévisé en direct sur Sky pendant 4 heures. Davantage que la finale de la coupe du monde de rugby. 1 kiwi sur 5 était devant son poste, des mètres de fish & chips et des seaux de bière à portée. L’événement a enregistré le deuxième record d’audience de ces douze derniers mois derrière la cérémonie de couronnement du roi Charles III ! Près de 600 000 dollars ont été récoltés. Rideau.
On n’a pas recroisé Ian Kirkpatrick ce soir-là au Bay Oval. On doute qu’il se soit déguisé en tortue ou en pélican comme le veut visiblement la tradition du « Clash », à l’image de la mode instaurée par le public sur le circuit de rugby à 7. On l’a cherché sans succès non plus devant l’unique stand de bière du stade où la file d’attente est aussi sage qu’un bobby devant Buckingham palace. Ce qui fait un choc. Ian, on le reverra quelques semaines plus tard dans sa ferme. Au moment où le tube planétaire « Back in black » retentit dans le stade, on se dit qu’il ne nous a pas encore raconté assez d’essais…
A SUIVRE JEUDI PROCHAIN / Notre deuxième Clash avec les Blacks : on les a défiés au haka les yeux dans les yeux. Même pas peur…