Coupe du monde / L’homme qui souriait à l’oreille des poteaux 

Prénom : Damian. Nom : McKenzie. Nationalité : All black. Surnom : « Smiling Assassin ». « L’assassin souriant » a bien failli ne pas être retenu pour la coupe du monde en France. Il n’avait pas résisté aux sirènes dorées des clubs de rugby du Japon. De banni, il devient essentiel. Portrait d’un joueur qui se paye toujours quand il faut […]
McKenzie All Blacks

Oct 12, 2023

Prénom : Damian. Nom : McKenzie. Nationalité : All black. Surnom : « Smiling Assassin ». « L’assassin souriant » a bien failli ne pas être retenu pour la coupe du monde en France. Il n’avait pas résisté aux sirènes dorées des clubs de rugby du Japon. De banni, il devient essentiel. Portrait d’un joueur qui se paye toujours quand il faut marquer au pied. Et dont on ne sait jamais ce qu’il va inventer pour faire briller le jeu.

Damian McKenzie, l’angle blond des All Blacks, près de 50 sélections
et au moins deux éclairs de génie par match – Photos Max PPP


Si le sourire est bien le reflet de l’âme, cher à Pierre Dac, alors celle de Damian McKenzie vient danser dans le miroir du rugby mondial. Miroir, mon beau miroir…  On y voit un petit blondinet pas très costaud d’1 mètre 74 pour 78 kilos. Un profil de lutin malingre dans le rugby rugueux d’hier et carrément plus engagé d’aujourd’hui. 

Dans son rôle de buteur proté, chaque fois qu’il se confronte à une pénalité ou une transformation d’essai, Damian esquisse un sourire un tantinet narquois, à l’adresse des deux poteaux qui culminent à plus de dix mètres. Certains le prennent pour un dingue (et nous laisserons ouvert ce champ du possible), d’autres pour un fanfaron en culottes courtes, la plupart pour un type mystique pas ordinaire. Ce qui est sûr, c’est qu’il s’est donné un rituel unique, du jamais vu dans le monde du rugby toutes époques confondues.

« Faire ça en match, ça me relaxe», a-t-il déjà expliqué des millions de fois. Un peu court jeune homme. Comme les coudes joints en balancier de Wilkinson, comme les torpedos il y a bien longtemps, McKenzie s’est inventé un style. Mais pas pour amuser la galerie. Car côté rugby, il ne rigole pas Damian.  Personne d’ailleurs ne rigole avec le rugby en Nouvelle-Zélande, un sport devenu là-bas un socle sociétal unique au monde. 

Première leçon de l’histoire : ce n’est pas la balance qui dicte qui peut jouer ou pas au rugby, y compris à haut niveau, c’est bien la motivation. Les racines et les origines aussi. Damian est né le 25 avril 1995 dans l’île du Sud, à Invercargill, un ancien comptoir écossais devenu cité industrielle aujourd’hui. On y trouve la seule fonderie d’aluminium du pays. Là, il a grandi entre deux cultures : « continentale » par son père, maorie par sa mère. Une synthèse comme il en existe à foison dans ce pays qui est un phare depuis longtemps en matière d’assimilation entre le peuple sacré des origines et les colons britanniques des temps lointains. 

Contre ce feu-follet, si tu es en retard sur le placement, tu es cuit.

Si tu es bien placé, tu n’es pas sûr de ne pas l’être aussi.

Et puis, il y a l’atavisme. Toujours plus puissant chez les insulaires. Le père de Damian, Brent, fut ouvreur à Waikato et Baby Blacks, la prestigieuse sélection des moins de vingt ans. Son frère Marty, demi d’ouverture aussi, a fait les beaux jours des Blues, des Chiefs et des Crusaders, les clubs mythiques du rugby néo-zed. 

Damian, lui, a coché encore plus de cases dans cette ville d’Invercargill qui a vu grandir aussi le talonneur Anton Oliver et le trois-quart aile Jeff Wilson, références des Blacks. International scolaire au collège de Christchurch, Barbarian universitaire, Baby black à 18 ans, Maori All Blacks en 2015, puis All Blacks en 2016. McKenzie a remporté cinq titres du Rugby Championship avec l’équipe nationale (2016, 2017, 2018, 2020, 2021) et a été sacré à trois reprises meilleur joueur du Super-rugby, le championnat « domestique » des franchises (de 2016 à 2018).  N’en jetez plus. La carte de visite d’un phénomène est pleine.  

Si l’on voulait faire ou plutôt oser une analogie avec les grands joueurs de chez nous, histoire de se parler entre anciens, on pourrait dire qu’il a l’élégance échevelée d’un Jo Maso, le sens de la passe millimétrée d’un Codorniou, la vitesse TGV de Darrouy, les crochets déroutants d’un Lagisquet, la fantaisie fugace d’un Gachassin, d’un Jean-Baptiste Lafond  ou d’un Dominici, la relance féline d’un Blanco, l’insouciance facétieuse aussi, de Louis Bielle-Biarrey en ce moment. Tout cela en un seul petit bonhomme jeté dans le rugby d’aujourd’hui bien sûr, sans comparaison raisonnable avec celui d’hier. Mais quand même.

Contre ce feu-follet, si tu es en retard sur le placement, tu es cuit. Si tu es bien placé, tu n’es pas sûr de ne pas l’être aussi. Les Uruguayens et les Italiens, lors de leur déculottée à plus de 100 points pour les premiers et 96 pions pour les autres en coupe du monde, ont eu tout le loisir d’admirer son numéro. Celui qu’il a dans le dos d’abord tant il les a pris de vitesse, celui du petit coup de pied à suivre et claquette d’une main sur le rebond à son coéquipier Will Jordan (pas un manche non plus) pour un essai au bout.  La chance sourit aux audacieux. Il est de cette caste-là.  

Photo Max PPP

Entre Peter Pan et le Joker

Ça ne lui a pas toujours souri d’ailleurs, pour revenir à la thématique. Comme il ne fait rien comme personne et que les sirènes du monde entier lui chantent des louanges, il s’est laissé tenter par le mirage doré des clubs de rugby du Japon et a failli manquer la sélection pour la coupe du monde 2023. 

Il a été rattrapé de justesse par la patrouille familiale et son retour in extremis au pays a adouci  Ian Foster, le sélectionneur actuel des All Blacks, qui goûta peu l’escapade nippone du petit génie. Un génie dont l’ensemble de la presse s’interroge aujourd’hui sur le fait qu’il pourrait être ce chainon manquant qui assurerait à la Nouvelle-Zélande, un facteur X de plus dans sa quête insatiable d’un quatrième trophée. Un peu à l’image de notre Antoine Dupont. 

Comme le Toulousain, capitaine du XV de France, McKenzie est déjà un héros de son peuple, un savant croisement entre le Peter Pan de Matthew Barrie et le Joker super vilain des DC Comics. Il est fluet, malicieux et insaisissable comme le premier. Diabolique, imprévisible et serial marqueur comme le second. A la fois Peter Pan et capitaine crochet d’ailleurs.  

Alors en posant ce brin de fantaisie sur ses lèvres mais aussi dans le jeu All Blacks qui n’en manque pourtant pas, Mac pourrait franchir le mur du songe qui en ferait l’un des meilleurs joueurs du monde. Dans ce costume noir qui charrie tant et tant de légendes de notre sport, Damian l’assassin magnifique a ce petit truc en plus : quand il sourit aux poteaux, peut-être aussi, finalement, qu’il tutoie les anges qui les surveillent. Sait-on jamais. Ce type a des visions. Et elles nous enchantent. 

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