Assassin pour les uns, impeccable pour les autres, l’arbitre du quart de finale France vs Afrique du Sud, Ben O’Keeffe, ne fait pas l’unanimité sur ses (non) décisions. Facile ? Trop tard surtout. Mais la question de l’interprétation des règles entre l’hémisphère Sud et le Nord revient clairement sur le tapis comme trop souvent. Que ce soit pour un seul point d’écart ou 30.
C’est Lucien Mias, héros de la tournée 58 en Afrique du Sud, qui disait : « l’arbitre, c’est comme le vent et la pluie. Il fait partie du jeu et il faut faire avec ». Déjà. Sauf que la pluie qui s’est abattue en douche froide dimanche sur le rugby français, défait 28-29, a aujourd’hui le goût amer des larmes. Et qu’un vent de colère impuissant, poussé par un flot d’incompréhensions, se répand dans le pays.
Il ne s’agit pas de faire porter à l’arbitre de ce quart de finale France vs Afrique du Sud le chapeau des approximations françaises réelles dans cette rencontre. Il ne s’agit pas plus de se dédouaner de nos propres erreurs inhabituelles, et d’un choix tactique de « finisseurs » sinon moins malin en tout cas moins payant que celui des très expérimentés entraîneurs Boks. C’est trop tard.
Il ne s’agit surtout pas de dévaloriser la victoire au forceps et au triceps de l’Afrique du Sud, fidèle à son rang de triple championne du monde de rugby quand même (1995, 2007, 2019) et qui a été en phase avec son ADN de toujours fait de puissance démesurée, de combat absolu et d’énergie constante. D’une devise aussi : «La danse de salon est un sport de contact ; le rugby est un sport de collision et nous, on respecte et on adore ça».
Il s’agit juste de savoir si les autobus lancés à toute vitesse contre les défenses, klaxon bloqué, ont aussi le droit d’ouvrir les portes pour fracasser les passants. En clair, de s’interroger sur la suite, de comprendre pourquoi le rugby de l’hémisphère Sud et celui du Nord n’ont visiblement pas les mêmes règles du jeu sur les temps forts d’engagement, et que ça, dans une coupe du monde, match gagné ou pas, ça pose vraiment question. Et surtout problème.
De la confiance avant toute chose
Dimanche, Ben O’Keeffe a pardonné aux Sud-af dans les rucks leurs jeux de mains plutôt vilains au grattage ; leur hors-jeu d’une semelle ou plus, à peu près tout le temps ; leurs percussions coude en avant et les raffuts dans la figure, au mépris de la sacro-sainte « intégrité des joueurs ».
Il ne s’agit pas de hurler avec les loups, ni de vociférer sur l’air d’un « à tort l’arbitre » à qui l’on collerait au dos d’un maillot sans numéro toute notre misère du moment. Juste de voir comment World rugby peut faire son examen de conscience à un moment donné, et le moment est sans doute venu, pour rétablir la lisibilité du jeu, la compréhension des décisions et la confiance dont tout le monde a besoin. Même si l’on décide, in fine, que la main ouverte de Du Toit dans le visage de Penaud puis le coude plein fer sur la tempe, devient un geste autorisé de jeu, auquel cas on aurait des clients, et on pourrait même rappeler Garuet, Michel Palmié et les frères Portolan.
Pour beaucoup, dimanche soir, Ben O’Keeffe méritait bien un carton et un petit passage au bunker pour « manque de discernement » (voire davantage) et pour avoir laissé ainsi planer le doute nauséabond de la complaisance aggravée qui inonde les réseaux sociaux. Lesquels sont en manque, par nature, du moins trop souvent, de discernement.
Pour nous, en souhaitant bon vent aux Sud-af pour la suite, parce que c’est une énorme équipe, cette question de l’arbitrage devrait servir de démonstration par l’exemple. Pour s’accorder sur le fait que le rugby, comme les autres sports, ne peut se satisfaire de décisions fluctuantes et du deux poids, deux mesures. Sinon, les petits de nos écoles de rugby n’ont pas fini de pleurer.