Voici la deuxième partie de notre rencontre avec Gary Whetton chez lui, dans sa ferme néo-zélandaise. Après sa carrière hors norme au pays du long nuage blanc, il nous raconte son épopée en France, en bleu et blanc. Le colosse de Tutukaka (1,98 m, 105 kg) a été le premier all black à soulever le bouclier de Brennus. C’était le 5 juin 1993, avec Castres contre Grenoble. En deux ans, il a laissé une empreinte indélébile dans le Tarn. Un pub porte même son nom sous les tribunes du stade Pierre-Antoine.
Interview réalisée par Jean-Michel Marcoul, Nicolas Barbaroux, et Gérard Rancurel
Pourquoi le titre de champion de France en 1993 avec Castres est-il si particulier dans votre immense carrière ?
Il faut savoir qu’aucun international français ne jouait à Castres en 1993. Quand je suis retourné en France l’année dernière pour la Coupe du monde, je suis allé à Castres pour voir mes amis, ceux avec qui je jouais. C’était une équipe vraiment étonnante, avec un super esprit de camaraderie. On marchait juste d’un même pas. Tous ces mecs ne savaient pas à quel point ils pouvaient être bons, on a juste absorbé la pression. Il fallait juste y croire et tout d’un coup : « oh, on est en quart de finale, oh, on est en demie, oh, on est en finale » !
Le cadeau souvenir de Wetthon à son départ de Castres : un mini Brennus, le maillot du match et cette photo rare où Gary lance son fameux haka à ses co-équipiers.
Photo Alamy.
La finale contre Grenoble a fait couler beaucoup d’encre (essai refusé injustement au Grenoblois Olivier Brouzet, un autre inscrit par vous plus litigieux).…
Il coupe. Pardon, quoi ? Qui a gagné ? Nous ! Quel est le problème ? (rires). Vous avez la même réaction que les Français après avoir perdu contre les Springboks. Ce qui compte, c’est le score au coup de sifflet final. Jacques Fouroux (entraîneur de Grenoble, ndlr) a beaucoup parlé de mon essai mais je ne peux pas l’accepter. L’arbitre l’a validé, j’ai bien marqué ! Sur le Bouclier de Brennus, il y a inscrit quoi ? Castres Olympique, 1993. Pas de discussion, un essai marqué, Gary Whetton, merci (rires) ! Et s’il y a une équipe qui méritait de gagner le championnat, c’était nous.
Vous aviez l’habitude de gérer la pression. Comment s’est passé l’avant-match ?
On a passé la nuit à l’hôtel où l’équipe de France avait ses habitudes avant de jouer au Parc des princes. On est restés là jusque dans l’après-midi, le match était à 21h, il faisait vraiment chaud. L’équipe est prête à monter dans le bus, un hélicoptère nous survolait. Et au dernier moment, M. Fabre, le grand patron, nous rejoint. J’ai l’habitude de m’asseoir dans le bus avec personne à côté de moi pour aller aux matchs. Et il vient s’installer avec moi, on parle tout le long du chemin (rires).
Quand on arrive au Parc des princes, le bus s’arrête dans un grand garage souterrain. Les mecs descendent du bus et là, ils me disent : « On ne sait pas où on doit aller ». Donc moi, Gary Whetton, étranger mais qui a déjà joué ici, je leur dis : « Suivez-moi les gars ». On sortait de nulle part, même si on avait des joueurs fantastiques ! Certains auraient pu être des All Blacks.
« Gary, Gary, tu dois faire le haka »
Vous vous rappelez de votre haka après la finale ?
Quand je suis arrivé à Castres, on avait de temps en temps des dîners avec l’équipe. Un soir, tout le monde passait un bon moment et on vient me voir en disant : « Gary, Gary, tu dois faire le haka ». J’ai refusé mais ils ont insisté : « Tu dois le faire pour l’équipe ». Alors je me suis exécuté mais en leur précisant que c’était la seule fois… jusqu’à ce que l’on joue au Parc des princes et qu’on gagne le championnat. Les joueurs ont chanté : « Whetton haka, Whetton haka ». Et j’ai fait le haka de nouveau pour eux. C’était vraiment un moment spécial, je le revois encore là dans ma tête, j’étais privilégié de les avoir côtoyés, c’est aussi simple que ça.
Comment s’est passé votre adaptation ?
On a mis deux mois pour trouver nos repères. On a commencé à apprendre la langue et à découvrir le rugby français. La chose la plus importante que j’ai comprise en allant aux entraînements, c’est de ne jamais comparer les rugbys français et néo-zélandais. Je savais juste que sur les deux premiers mois, je devais absolument connaître les prénoms de tout le monde et bien jouer au rugby. Ne pas donner de conseils, juste très bien jouer et tout le monde serait content, c’est comme ça que l’équipe m’a accepté en tant que Gary Whetton la personne, pas en tant que Gary Whetton le All Black.
Puis on a appris à se connaitre de mieux en mieux. On vivait au milieu de la ville, on a rencontré les habitants, les gens qui travaillaient au marché, dans les petits commerces, etc. « Oui, bonjour, comment ça va (en français) ». On est restés deux ans et demi, ma femme a pleuré quand on est partis. Ils m’ont demandé de rester, de jouer un peu plus, ce match puis ce match, mais j’ai juste ressenti de l’ennui un jour, lors d’un entraînement sous la pluie, et je leur ai dit que je ne pouvais plus.
Quelle est l’importance du président Pierre-Yves Revol dans votre venue ?
C’est un de mes très bon amis, un gars fantastique. Quand on est arrivés en France, il nous proposé notre maison, elle était en bois, horrible ! Ma femme a pleuré en la voyant. Je leur ai dit que ce n’était pas possible qu’on reste là, il fallait qu’ils nous trouvent une maison en ville sinon je repartais. Le président nous a dit que c’est impossible car il n’y avait rien de disponible. Castres, c’est petit… Il nous a accueillis chez lui, dans une très grande maison.
On est restés là 3-4 semaines, j’ai donc eu l’occasion de très bien connaître Pierre et sa femme, une personne formidable. Elle nous a appris comment cela fonctionnait en France, nous a aidés pour notre adaptation ainsi qu’à trouver un appartement en plein centre-ville. Donc il était le président Et en France, quand on parle au président, on dit Monsieur le président. Moi quand je le voyais, c’était Pierre. Tu ne peux pas dire ça normalement (rires) ! Je ne sais pas pourquoi ils m’ont choisi moi mais ils l’ont fait.
Avez-vous le sentiment d’avoir été un précurseur et d’avoir ouvert la voie à la venue d’autres Néo-Zélandais en France ?
Le président m’a demandé à de nombreuses reprises qui il devrait prendre, ne pas prendre. En France, la culture est différente car c’est pro, tout le monde parle anglais. Au début des années 90, ce n’était pas le cas, seul l’entraîneur Alain Gaillard s’exprimait en anglais, un gars fantastique. J’ai dû apprendre le français et quand j’ai commencé à bien parler la langue, les gens parlaient anglais (rires). Je pense que j’ai montré la voie. Quand tu es en France, tu dois comprendre la culture. Si tu n’as pas ça, tu ne peux pas bien jouer au rugby. Et si ta femme ne se sent pas bien, cela rend ta situation très inconfortable. Ma femme était heureuse, elle s’adapte très bien, elle se fait des amis de partout, et donc c’est ce qu’on a fait.
Est-ce que les joueurs néo-zélandais vous demandent des conseils avant de rejoindre la France ?
A chaque fois, ils me posent des questions. Par exemple, j’ai beaucoup parlé avec Joe Tekori avant qu’il rejoigne Castres, puis il est parti à Toulouse. Pour pas mal de joueurs, je leur dis que cela ne leur conviendrait pas. Imaginez venir vivre en Nouvelle-Zélande, comme ici à Whangarei, une toute petite ville, si tu ne connais rien de la culture, que tu ne parles pas la langue. La France a une culture magnifique, avec ma femme nous adorons la France. Mes fils ont grandi en France et peuvent parler la langue. On adore la culture française, il faut que tu t’en imprègnes quand tu es là-bas.
« C’était la star, le public l’a vite adopté »
L’arrivée de Gary Whetton en France, on la doit au plus francophone des journalistes néo-zélandais, Ian Borthwick. C’est lui qui conseille au président Pierre-Yves Revol de se rapprocher de Whetton, alors en fin de parcours chez les All Blacks et avec son équipe d’Auckland.
« A l’époque, nous n’étions pas dans l’univers professionnel, rappelle le président du CO. Notre équipe était composée de joueurs qui vivaient à Castres et qui travaillaient dans l’entreprise (les laboratoires pharmaceutiques Pierre Fabre, ndlr). Gary Whetton venait de perdre le capitanat avec les Blacks. C’était l’opportunité de recruter un joueur étranger international très réputé ».
La moitié du chemin est accomplie. La soif de découverte du deuxième ligne, demi-finaliste de la Coupe du monde 1991, fera le reste.
Le colosse de Tutukaka connaît bien la France pour avoir été le capitaine des Néo-Zélandais lors de la tournée de 1990, conclue par deux succès contre les Bleus mais des défaites face aux sélections régionales Provence-Côte d’Azur et Côte Basque-Landes.
Gary Whetton se trouve à un tournant de sa carrière et de sa vie. Castres constitue la terre d’accueil idéale pour un dernier challenge, à 34 ans. « Comme beaucoup de Néo-zélandais, il est très curieux, il voyage facilement. Si ce n’avait pas été Castres, il aurait été ailleurs ». Par bonheur pour les Tarnais, il a choisi ce coin du Sud-Ouest et un club qui courrait après un titre de champion de France depuis 1950.
Pour faciliter son intégration, il s’installe dans un appartement dans le centre-ville de Castres, tout près de la place du marché, où il aura ses habitudes. « Ici, les gens aiment parler rugby. C’était la star ! Ils ont vécu sa présence avec une grande fierté. Gary était surtout un garçon très accessible ».
Dans cette ville discrète de 40 000 habitants, le Néo-zélandais s’approprie une nouvelle culture. « C’était quelqu’un de généreux, le public l’a vite adopté. Même s’il a totalement changé d’univers en venant chez nous, il a su s’adapter ».
Très humble dans la vie, Gary Whetton était surtout exemplaire sur le terrain. Le deuxième ligne s’est rapidement imposé comme un des leaders du groupe et il a permis au CO de devenir une équipe redoutable et redoutée.
« Gary était un joueur rigoureux et discipliné, avec un sens du collectif hors-pair. Au-delà de ses performances individuelles, il a amené sa culture de l’exigence. Nos garçons n’étaient pas tous disciplinés et le sont devenus auprès de lui ».
De là à affirmer que Castres aurait quand même été champion de France sans Gary Whetton, il existe un pas que le président Revol se refuse à franchir. « A ce moment-là, nous étions en progression. Il a contribué au titre, c’est évident. Après, affirmer que sans lui, on n’aurait pas décroché le Brennus, c’est se perdre en hypothèses ». Seule certitude, son arrivée a bousculé les codes.
De retour régulièrement à Castres
Si Pierre-Yves Revol se souvient peu du premier match du Néo-zélandais sous les couleurs du CO, le 2 novembre 1992 au stade Pierre-Fabre contre Brive (victoire 14-0), il se rappelle d’un déplacement à Dax pour le moins curieux. « A l’époque, on n’avait pas le droit de « lifter » lors des touches. Or, Gary avait une détente verticale impressionnante ! Tellement que l’arbitre était convaincu qu’on l’aidait, qu’il y avait un ascenseur. Et on était pénalisé ! Gary ne comprenait pas ». Le Néo-zélandais n’a pas seulement laissé une belle empreinte dans l’histoire du CO, en deux saisons seulement. Le club tarnais a également marqué ce deuxième ligne de devoir, réputé pour ses prises de balle en touche et pièce maîtresse de la mêlée noire. Si bien qu’il revient régulièrement à Castres, où il a donné le coup d’envoi d’un match à Pierre-Fabre en fin de saison dernière. « Il a même servi des bières au pub qui porte son nom ! Il a vécu ce bain de foule avec un plaisir incroyable. Comme on a un public de tradition et fidèle, c’est comme si le temps n’était pas passé ».
Ses deux fils, William (troisième ligne) et Jack (deuxième ligne), ont même porté le maillot du CO.
Au sujet de Tom Staniforth, l’Australien à la coupe mulet le plus célèbre de Castres, l’ancien manager tarnais Pierre-Henry Broncan disait « qu’il est en train de devenir un véritable Castrais, notre « Gary Whetton » à nous ». C’est dire à quel point nul ne l’a oublié sur les bords de l’Agout.
Nicolas Barbaroux