Les Captains (2) / Gary Whetton, le colosse de Tutukaka  

Une route sinueuse, à un peu plus d’une heure d’Auckland. Des pâturages à perte de vue qui jouent à saute-moutons (pour le coup) avec les vallons du paysage ; et en toile de fond, le Pacifique qui danse sur la ligne d’un ciel si paisible. Après avoir poussé un petit portail en bois où un écriteau […]
Gary whetton dans sa propriété

Avr 4, 2024

Gary avec la réplique de la Coupe du monde…

Parce que j’adore le rugby (rires) ! J’étais costaud et doué. Je jouais au football mais, tout d’un coup, tous mes amis ont pris des muscles et ils ont grandi. On a tous décidé d’aller jouer au rugby pour une très bonne école, la Auckland Grammar School, qui est très réputée. Elle a produit le plus de All Blacks. 

Dès ma première année, j’étais dans le premier XV, c’est-à-dire l’équipe première. C’est là que tout a commencé pour moi.

« Graham Henry était mon prof de sciences
à l’école, il m’a encouragé
pour devenir All Black »

Gary Whetton
Graham Henry  all blacks
Graham Henry, le sorcier Photo Alamy

Oui, bien sûr ! Mon frère jumeau Alan jouait. Il est plus vieux que moi de cinq minutes ! Mon père jouait ainsi que tous mes oncles. Il espérait pouvoir un jour devenir un All Black mais les dieux du rugby, le vin et les femmes se sont mis sur son chemin (rires). C’était un très bon joueur, les blessures ne l’ont pas aidé et il a dû arrêter sa carrière assez tôt. Mes oncles étaient aussi de très bons joueurs. 

Ma mère était une superbe athlète, tout était naturel pour elle. Elle a joué au tennis, au badminton et au squash à un bon niveau. Elle avait un esprit très tourné sur le sport, la compétition. Elle nous a emmenés à tous nos entraînements. On a joué au cricket, au tennis, fait de la natation, de l’athlétisme. Nous avons toujours été occupés, nous avons touché à tout, pas seulement au rugby. 

Il était mon professeur de sciences et il était aussi dans le rugby. Je me souviens que notre sport n’était pas professionnel mais Graham Henry savait repérer les joueurs qui avaient du talent et il était très bon en tant qu’entraîneur. Un jour, il m’a dit : « Gary, si tu t’impliques sérieusement et que tu t’entraînes assez dur, tu as tout ce qu’il faut pour devenir un All Black ».

J’avais à peine 16 ans et je n’y croyais pas vraiment. Je me disais : « Oui, OK ». Et puis à 21 ans, je suis devenu All Black. Graham Henry m’a permis d’avoir confiance en moi et il m’a permis de croire que je pourrais un jour devenir un All Black. C’est un peu grâce à lui que j’ai commencé à rêver de ce maillot. Il m’a enseigné les sciences et le rugby, je n’ai pas validé les sciences mais le rugby (rires). 

Ici, on appelle cela le « first class match ». J’avais 19 ans. Auckland c’était l’équivalent des Blues aujourd’hui, et on jouait contre les Australiens de Sydney, qui était une super équipe à cette époque. Je n’avais pas été très bon… 
À cette époque, je jouais aussi pour les All Blacks moins de 21 ans, les New Zealand Colts. 

J’avais 21 ans, j’avais seulement joué 12 matchs avec Auckland. J’étais très nerveux, impatient. Toute ma vie, j’ai travaillé pour atteindre mes objectifs, cela n’arrive pas juste comme ça. J’ai juste essayé de faire mon boulot… J’étais très stressé quand je suis entré sur le terrain. Mais une fois sur la pelouse, j’ai tout oublié. 
Je défie quiconque de ne pas ressentir la pression, en particulier avec une telle atmosphère, 

Photo Alamy
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50 000 personnes qui criaient de partout et 50 000 personnes en dehors du stade qui essayaient d’entrer pour empêcher que le match ne se déroule. Ce premier match c’était contre les Springboks, celui où des bombes de farine (le « flour bomb ») ont été jetées depuis un avion, lors des manifestations qui embrasaient le pays à cette époque là (la fédération néo-zélandaise avait invité les Sud-Africains alors que le pays était sous régime d’Apartheid, ndlr). Pas mal pour un début… 

Par chance pour ma carrière, nous avons gagné. Si nous avions perdu, je n’aurais peut-être plus jamais été un All Black. Il n’y a rien de plus important que de la victoire, en particulier à cette époque.

« Que tu enfiles ce maillot pour la première ou la centième fois, tu te sens spécial »

Gary Whetton

Je ne sais pas comment je m’en suis sorti, j’étais très nerveux ce jour-là ! C’était le troisième test de la série, les Springboks étaient très forts. On était à l’hôtel et la police nous protégeait. Elle était là toute la semaine car il y avait toutes ces manifestations. Pour aller à l’Eden Park, nous sommes partis à 7h du matin, en convoi, pour arriver au stade six heures avant le coup d’envoi.

C’était ma première sélection, ma première tournée. Ce n’est pas comme aujourd’hui où tu sors du banc pour jouer 2 minutes ou 10 minutes. Je portais le numéro 5 et je ne connaissais rien de plus beau. On peut dire que c’était un contexte très particulier, peut-être un peu stressant, mais une fois que tu enfiles ton maillot, tu es entouré par de super joueurs comme Andy Dalton, Gary Knight, Murray Mexted, qui évoluaient devant. C’était une bonne équipe et on jouait très bien tous ensemble. 

Tout le monde la ressent. Que tu enfiles ce maillot pour la première ou la centième fois, tu te sens spécial. On est l’équipe la plus reconnue au monde. Et dans les années 80 et 90, c’était encore plus vrai parce que le rugby n’était pas professionnel. 

C’était dur de se faire sa place et d’intégrer l’équipe. Et une fois que tu en fais partie, l’héritage est énorme. C’est ce qui fait le rugby en Nouvelle-Zélande ! C’est une identité unique, tous les joueurs rêvent de jouer pour les All Blacks. C’est un cercle vraiment spécial, exclusif.

On préparait une tournée en Australie de deux mois et Alan a été retenu dans un groupe de 26 ou 30 joueurs. Lors de ces tournées, tu jouais souvent deux matchs la même semaine, le mercredi et le samedi. Il a affronté Queensland, Perth et South Australia, les équipes de provinces australiennes. Puis il a disputé quelques tests matchs. 

Par la suite, on a joué 15 ou 20 fois ensemble. C’était vraiment spécial pour nous deux. On s’asseyait toujours ensemble dans les vestiaires. Quand on entrait sur le terrain, on était toujours l’un derrière l’autre. Chaque fois ! Quand je jouais avec lui, j’avais toujours quelqu’un pour assurer mes arrières et vice-versa. Je ne peux pas décrire ce lien, c’est difficile. Quand vous êtes frères jumeaux et que vous jouez pour les All Blacks, les matchs sont vraiment incroyables.

J’ai vécu beaucoup de grands moments au cours de ma carrière, mais c’est définitivement ce titre qui est tout en haut de la liste. Il y a eu mes débuts, incroyables, indescriptibles. Gagner la Coupe du monde, qui était la première, c’était spécial. 

Pendant au moins les six premiers mois, je me suis dit : « mon dieu, on est champions du monde ». D’avoir été capitaine des All Blacks, c’était aussi un des moments forts de ma carrière, surtout que je ne m’y attendais pas ! 

« Affronter la France, c’est toujours un bon test pour voir ce que tu vaux »

Gary Whetton

J’ai seulement participé à deux tournées en France, en 81 et en 86. Et en 87, on les joue ! Affronter la France, c’est très très dur. C’est un bon test pour voir ce que tu vaux. Parmi toutes les équipes que j’ai affrontées, la France est celle qui a le plus de respect pour les All Blacks. 

Les Français veulent également gagner quoi qu’il arrive, c’était toujours des matchs très difficile. Puis j’ai rencontré ces mecs quand je vivais en France, c’était des joueurs fantastiques, ils auraient pu remporter la Coupe du monde en 87. Mais ils avaient déjà tout donné contre l’Australie en demi-finale.

New Zealand v Scotland - Cardiff
Coupe du Monde – Nouvelle Zélande v Ecosse – Cardiff Arms Park

C’était inattendu, un grand honneur mais qui vient avec de grandes responsabilités. Le public doutait de ce choix. Mais tu dois utiliser ton expérience et prendre en mains ce rôle parce que c’est une mission que l’on doit bien mener. C’est un boulot difficile, surtout à l’époque car il n’y avait qu’un seul coach et la moitié du temps, il n’était pas là. Il n’y avait pas de consignes, rien. On t’en demande beaucoup, la pression est énorme. Mon frère s’est beaucoup plus amusé en n’étant pas capitaine que moi en l’étant. 
Chez les All Blacks, tu dors, tu manges, tu vis en ayant cette responsabilité. 

C’est compliqué pour les All Blacks lorsqu’ils ne gagnent pas. Car gagner est le plus important. A cette époque, après une défaite, tout le pays était triste et déçu, tout le monde avait son opinion sur l’équipe nationale. En tant que capitaine, mon boulot n’était pas de faire en sorte que les gens ou la presse t’aime bien, mais de gagner. Parfois, j’ai parlé quand je n’aurais pas dû, j’ai défié les gens, la presse, mais c’est moi, je suis comme je suis. Au final, tu es là pour jouer au rugby. 

Aucun All Black n’entre sur le terrain pour perdre, comme les Français n’entrent pas sur le terrain en se disant qu’ils vont perdre. Tu joues en faisant de ton mieux, mais la pression est toujours là. Cela fait partie de la vie, tu apprends de ces situations. On n’a pas perdu tant de fois que ça, mais quand cela arrivait, c’était toujours un bon rappel pour nous et on y retournait. Quand j’étais le capitaine des All Blacks, j’ai perdu deux fois en test match et en demi-finale de la Coupe du monde. C’est comme ça, mais ça reste une blessure. 

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