Mardi soir, les joueurs Dignois, qui représentent la France dans le Mondial amateur, ont effectué leur dernier entrainement chez eux. Pour entrer dans la compétition. Pour se rassurer ensemble. Pour se dire et se promettre des choses. Ambiance.
Mardi 19 septembre. 20h. Stade Christophe Ménard, à quelques kilomètres du centre-ville de Digne-les-Bains. Le GPS a eu le tournis pour sortir des chemins de traverse à la seule lumière des phares. L’été est fini. A peine 15 degrés et le taux d’humidité d’un jour de giboulée. Il donne à la lumière des projecteurs une couleur ocre, brumeuse presque, créant un théâtre d’ombres sur les silhouettes des trente types en short et bon nombre en débardeur qui s’activent déjà sur le pré. Le peuple des rambardes, lui, si nombreux les jours de match pour suivre le RCD ailleurs que sur la tribune en bois essoufflée ou l’autre, en face, plus riante, a déserté. C’est jour de semaine il est vrai. Les joueurs, eux, sont en « vacances ». Ils sont pompiers, infirmier de bloc, maçon, agents de la ville, étudiants, assureur… rugbymen amateurs surtout, à 100%. Et fiers de l’être. Ils ont tous posé des jours de congés depuis lundi pour préparer le tournoi et le rêve d’une vie : porter les couleurs de la France dans cette 1er Coupe du monde de rugby amateur de l’histoire organisée à la maison. Et tout faire pour la gagner.
Sur le pré, le temps n’est pas assez froid pour Frédérick Desbats qui dirige une partie de l’entrainement en short et claquettes avec son chien Laïka à ses côtés, habile et rompu au « contre-patte » pour éviter les vagues de joueurs qui attaquent non-stop en formule cadrer-donner. Normal. Il est de Digne « Fred », ancien demi de mêlée du RCD. Son père, ses deux frères jouaient. Même sa maman s’occupait des petits de l’école de rugby. Idem pour Stéphane Niego, entraîneur lui aussi, héritier de la même tradition familiale et enfant du club pareil. Plus saignant peut-être. Sa voix tonne dans un « Putain faut arrêter ça quoi ! » lorsque la chistera désespérée d’un défenseur termine sa course dans les bras de Maria comme on dit du côté de Castelsarrasin, c’est-à-dire de personne.
« Ce qui va faire notre force les gars, c’est la vitesse, bien se déplacer, bien défendre, jouer chez eux, sur des matchs de 2 fois 20 minutes c’est ça les clés et vous les avez» martèlent Fred et Steph. Des clés, l’équipe en a, objectivement, un trousseau fourni : un des buteurs les plus précis du championnat, Paul Bousser ; deux match-players, les Fidjiens Amani et Jones, aux qualités physiques hors normes ; une prépa physique soignée. Et le livret des règles.
« On a un avantage par rapport aux équipes de l’hémisphère sud, ce sont les règles européennes qui vont s’appliquer. Pas de mêlée poussée, pas de contact au-dessus de la ceinture, explique en aparté le capitaine Nicolas Limouzy, 33 ans, trois-quart centre, passé par les Espoirs de Narbonne. Mais il va surtout falloir compter sur nous, marquer vite, bien défendre, on a beaucoup bossé le physique, pendant deux mois, mais aussi notre organisation et on a suivi une préparation avec Jérémy Aicardi de l’équipe de France de rugby à 7 sur nos temps de jeu plus courts».
Jeu au pied, régulation des montées offensives, travail des réceptions, pas de rucks ni de plaquages appuyés ce soir-là à Gaubert. Ni de bière à la fin d’ailleurs. Les visages sont un peu fermés. Les mains parfois moins sûres mais le boulot du soir est fait : avoir des sensations, libérer de la sueur et du coup de la tension, et surtout, se retrouver. Et se dire des choses.
« On est pas Digne les gars, on est la France »
C’est le président, Jérémy Teyssier, concepteur, fondateur et soutier du Mondial amateur depuis quatre ans, ex-demi de mêlée proté du club, qui s’y colle et organise le cercle des joueurs au rêve éperdu. «Il va falloir s’envoyer mais je suis certain qu’on est au niveau. Il faut y croire, jouer tactiquement, rester concentré et rentrer dans une bulle. Et là, j’en suis sûr, on sera en quarts de finale et en demi, où on jouera alors ici, chez nous. On n’a plus que ça à penser les gars, plus que ça. C’est qu’une fois dans votre vie, c’est quatre ans de travail pour vous, alors régalez-vous ».
Même confiance chez le capitaine Nicolas Limouzy qui insiste sur les sacrifices faits tout au long de cette préparation, et ceux qu’il faudra faire, des corps maintenant. Il insiste sur « le ciment qui nous unit au-delà du jeu », sur « l’aspect unique » du moment. Mathieu Giovanni, 3ème ligne sur le pré, patron de la société Ovinalpes à la ville, se glisse dans l’intervalle pour en remettre une couche de sa voix chaude. Arrivé cette saison à Digne mais vieux briscard réputé du rugby bas-alpin, il enchaîne, lui, sur le précepte de « la conviction ». « Je veux que vous écriviez une conviction sur un bout de papier et que vous me la donniez. On se les lira vendredi la veille du match. Ce sera nos convictions à trente, ce sera notre histoire à nous, alors pensez à la conviction, pourquoi je suis sur le terrain, pourquoi je ne vais rien lâcher, pourquoi je veux gagner les matchs. On n’est pas Digne les mecs, là, on est la France ».
Des mots forts. Du coup, les voix se sont tues et le retour au vestiaire fut tout aussi silencieux, religieux presque. C’est rare. C’était un mardi soir pas comme les autres. Le dernier entraînement à la maison avant de sauter samedi dans le grand bain de la Coupe du monde avec un France vs Nouvelle-Zélande en ouverture. Un graal. On a éteint les lumières. Les rambardes se sont rendormies. La haie d’arbres au fond du stade a continué à dodeliner sous une brise encore plus fraiche. Mais on a quitté Ménard avec un drôle de sentiment. L’impression d’avoir vu danser une flamme dans les yeux de ces gars-là. Celle qui nourrit l’âme des terres de rugby. Celle, chère à Jean-Pierre Rives, qui prônait que « le rugby, c’est un ballon et des copains autour et quand il n’y a plus le ballon, il reste les copains ». Les Dignois le sont déjà. Reste le sens et la valeur des histoires qu’ils pourront se raconter plus tard.