INTERVIEW. Le président de Provence rugby depuis 2013, fondateur de « Voyage privé », a installé le club aixois comme une valeur sûre de la Pro D2. Le recrutement pour la saison est à la mesure cette fois des ambitions aixoises. Interview (rare) de Denis Philipon.
Comment êtes-vous arrivé dans le rugby ?
En 2011, nous avons demandé aux salariés de Voyage Privé de constituer des groupes de travail pour imaginer quelle entreprise nous serions dans vingt ans. Nous voulions tous un projet identitaire ancré en Provence, un projet qui soit à la fois solidaire et sportif, ambitieux et hautement compétitif. C’est le dénominateur commun à l’ensemble de nos initiatives.
Mais nous ne voulions pas que Voyage Privé soit simplement une machine à fabriquer de l’argent.
Nous avons donc créé un projet de campus qui nous permettait, dans un même lieu, d’installer concrètement les quatre axes développés par nos groupes de travail : notre entreprise, bien sûr, mais aussi le centre d’entraînement de l’équipe pro de rugby d’Aix, notre fondation « l’École des XV » pour les enfants en échec scolaire, et un incubateur pour de jeunes start-up.
Voyage privé, c’est tout cela aujourd’hui, au Jas-de-Bouffan, à La Constance.
Le club de rugby d’Aix a fêté ses cinquante ans en 2020. Il a été l’ARC, puis le PARC et, aujourd’hui, Provence Rugby. Quel regard portez-vous sur cette histoire ?
Cinquante ans, c’est à la fois beaucoup et pas grand-chose dans le rugby français. On est un « petit nouveau » à cette échelle-là. Et, à la fois, cinquante ans, c’est un demi-siècle et ce n’est pas banal.
Ce qui nous fascine dans cette histoire-là, ce sont ces milliers d’hommes et de femmes qui ont porté ce club à bout de bras, dans une ville qui n’était pas historiquement une terre de rugby et qui est en train très sérieusement de le devenir.
Je pense qu’un club de rugby appartient à sa ville, à sa région, à son territoire. Il est catalysé, dans toutes ces décennies, par des gens à l’investissement sans faille et à la passion constante. Tout cela a finalement permis à Aix, en peu de temps, de figurer dans le Top 20 du rugby français et de nourrir aujourd’hui de nouvelles ambitions. Ce n’est pas rien.
Le Top 14 en ligne de mire
À quoi ressemble l’équipe de cette nouvelle saison 2023-2024 ?
A nos valeurs : l’ambition, l’unité, le combat.
Notre recrutement est très lisible, il a été extrêmement mûri. Il est ambitieux aussi, avec une masse salariale qui a augmenté pour tenir nos objectifs mais surtout pour nous ancrer dans la durée. On a gardé notre ossature de joueurs parce qu’on est dans la continuité et l’a renforcé avec un groupe de six jeunes joueurs du Top 14, reconnus, sur des contrats de trois ans, tous issus de la filière de formation française.
Ils sont épaulés par des joueurs plus expérimentés comme le demi d’ouverture d’origine néo-zélandaise Jimmy Gopperth. L’idée était de renforcer le groupe de façon cohérente, pour s’installer dans la durée et pour nous faire monter en Top 14.
Le Top 14, c’est l’objectif ultime ?
« Sportivement, oui. On se prépare à ça et on a passé un cap dans le recrutement et dans notre construction cette saison pour ça. Mais il faut rester prudent, le calendrier a été perturbé par la Coupe du monde, on attaque en janvier un enchainement de matchs soutenu, c’est un très, très, très long marathon la Pro D2, qui peut nous conduire à plus de 30 matchs.
Il faudra rester concentré, prendre match après match, et optimiser notre potentiel pour entrer dans les six équipes qui participeront aux play-offs.
Ce qui est certain en revanche, c’est que le Top 14, ce ne sera pas le fait d’un homme, d’une équipe ou d’une entreprise. Il faudra que ce soit beaucoup plus partagé. Mais oui, on aura, dans notre histoire, un point de rendez-vous avec nos 2 millions de concitoyens et partenaires.
On devra déterminer, à un moment donné, si tous ensemble, dirigeants, entreprises, élus, partenaires, public, présidents de clubs, tout ce qui fait un territoire de rugby, on aura envie de porter les couleurs de Provence Rugby au plus haut niveau ».
« le Top 14, ce ne sera pas le fait d’un homme, d’une équipe ou d’une entreprise. On aura, dans notre histoire, un point de rendez-vous avec nos 2 millions de concitoyens et partenaires ».
Comme La Rochelle, par exemple, a réussi à le faire ?
« Exactement. La Rochelle, c’est une inspiration pour nous. Comme Toulouse est une inspiration bien au-delà du jeu, comme Clermont est une inspiration sur la manière dont un industriel a su se mettre au service de sa région. On n’est pas dans la copie d’un modèle, mais dans la prise d’informations permanentes sur ce qui se fait de mieux ailleurs ».
« le XV de France à Aix, ça a été un signal fort »
Vous jouez sur deux tableaux cette saison, l’équipe 1 bien sûr mais aussi les Espoirs, en Elite, qui vont jouer contre les plus grands clubs français. La formation, c’est une clé de réussite ?
« On l’a prouvé. On a aujourd’hui 5 à 7 joueurs sur chaque feuille de match de l’équipe pro, des jeunes qui en alignent plus que d’autres et qui sont de vrais talents comme Lucas Martin, Suta, Drouet par exemple.
Ce vivier nous fait briller, il amène au groupe une envie, une fraîcheur. On a aussi une très belle génération de juniors Crabos. La formation, c’est 13 personnes à temps plein chez nous sur un groupe de 45 joueurs. C’est un très gros effort pour le club, parce que c’est une conviction pour nous, qui participe à nourrir l’identité de Provence rugby ».
L’équipe de France a séjourné trois semaines à Aix pendant la Coupe du monde, et a donné un éclairage hors normes sur la ville. C’est une source de motivation pour Provence, non ?
« Ça a été bien plus que cela, nous avons eu de vrais échanges, de vrais liens, très riches, humains et professionnels, notamment entre les techniciens du XV de France et les nôtres, sur la préparation, les schémas de jeux, la diététique, le management…
L’équipe de France a tenu ses engagements avec nos jeunes du centre de formation, qui ont participé à quatre entrainements avec eux. C’est incroyable. Comme ça l’était de voir des milliers de personnes chanter « La Marseillaise » en chœur sur la place de la mairie quand les Bleus ont été reçus par Sophie Joissains. Tout ça, tout cet apport qui n’aurait pas existé si le XV de France n’était pas venu séjourner à Aix, prouve que le territoire rugby est en train de grandir, de mûrir ici. C’est un message très concret qui a été envoyé. Ça restera gravé ».
(interview réalisée avant la défaite du XV de France)